J’inaugure aujourd’hui un nouvel ensemble d’articles consacré aux avant-gardes.
Je les ai beaucoup, beaucoup enseignées! Au point d’en être quasi dégoutée…
Cependant, elles sont fondamentales et essentielles à la bonne compréhension de l’art contemporain. Et pour moi, Dada est la première avant-garde vraiment importante.
Mais qui sont-elles ?
L’avant-gardes est un terme emprunté au vocabulaire militaire, il s’agit des soldats qui combattaient au front et qui prenaient le plus de risques. Au milieu du 19ème siècle ce terme est employé de manière nouvelle, dans le domaine esthétique. Plus précisément pour caractériser les artistes qui ouvrent de nouveaux champs plastiques et théoriques. Cette ouverture s’accompagne d’un engagement politique et d’une volonté de démocratisation de l’art. Autrement dit : l’art pour tous et par tous.
Par ailleurs, le milieu du 19ème siècle est marqué par la naissance de l’ère industrielle. Celle-ci va entraîner une relation mythique entre l’homme et la machine. Cette relation symbolise une fulgurante avancée vers le progrès. Ainsi, l’idéologie du progrès à tout prix s’abat aussi dans le domaine des arts visuels.
Pour en savoir plus sur ce point c’est par ici
Ce premier article est consacré au mouvement Dada.
Une rapide définition
Les artistes d’avant-gardes ont généralement une sensibilité de gauche et sont communistes ou anarchistes.
D’où une certaine radicalité de leurs approches artistiques. De plus, ils rédigent aussi des manifestes qui sont la cristallisation de tous les mouvements. Enfin, et c’est un point important, ils se caractérisent aussi par une rupture avec l’enseignement académique. Pour ces artistes ce genre d’enseignement empêche les créations novatrices. Il est vrai que les artistes académiques doivent respecter des canons, un certain esthétisme et des normes.
Choses que refusent catégoriquement les artistes d’avant-gardes.
Ces derniers s’inscrivent également dans l’héritage philosophique de Friedrich Nietzsche et plus précisément sur trois éléments phares de sa pensée.
- La transmutation des valeurs qui engendre une remise en question de la société.
- La joie tragique, qui est une angoisse liée à l’ère industrielle.
- Le rapport à la religion et aux croyances qui s’écroule.
La joie tragique, un concept actuel
J’en profite pour vous dire que pour moi, il n’y a pas de plus grand philosophe en Occident que Friedrich Nietzche.
Sa pensée est remarquable, actuelle, et profonde. Elle se pose comme un guide de tous les instants et m’accompagne depuis de longues années.
Je ne peux que vous encourager à lire le magistral Ainsi parlait Zarathoustra et plus particulièrement le passage des trois métamorphoses.
La joie tragique est un concept fondamental, qu’il est important de bien saisir:
Pour Nietzche, il est tout simplement aberrant d’adopter une attitude nostalgique face aux temps présents. Autrement dit, exit le « c’était mieux avant »!
En effet, malgré les angoisses et les tragédies de nos époques il indique qu’il faut faire face au présent et se saisir de toutes ses potentialités. Ainsi et seulement si, il est devient possible de saisir le potentiel de liberté et de créativité présent en chaque époque mais aussi en chacun.
Portrait de Friedrich Nietzsche vers 1875 © Freidrich Hartmann (1822-1902)
La mort de Dieu
Nietzsche proclame la mort de Dieu dans le but uniquement de s’affranchir de tout dogmatisme. C’est-à-dire, qu’il ne va en aucun cas dire que Dieu n’existe pas mais simplement que le dogme est aliénant et liberticide.
Ainsi, réside dans cette remise en cause des croyances un véritable espace de liberté.
Malgré la grande liberté qu’offre l’art d’avant-garde, on peut cependant observer quelques limites dont :
- Chaque mouvement doit attester d’une rupture et d’un renouvellement. Ce qui amène de nouveau à un schéma académique puisque tous les mouvements s’inscrivent, qu’ils le veuillent ou non, dans un héritage.
- De même, l’utopie du progrès montre, rétrospectivement, que l’art n’a pas changé le monde contrairement au souhait de certains artistes.
L’art n’est pas accessible pour tous
D’autre part, la démocratisation de l’art n’a pas eu lieu. En effet, c’est toujours l’élite économique qui achète de l’art et par conséquence qui génère la norme de goût.
Il faut également mentionner que la relation à la politique de gauche s’effondre. En effet, dans les années 1970 lorsque l’avant-gardisme touche à sa fin, c’est en même temps la fin des « utopies » communistes.
Malgré cette fin de l’avant-garde artistique, l’art actuel s’inscrit dans un héritage d’avant-gardes.
Ce sont ces mouvements qui ont posé l’assise théorique de tout l’art des 20ème et 21ème siècles. C’est pourquoi, il est impossible de faire l’économie de cette période pour comprendre les enjeux plastiques actuels.
L’incidence de la guerre
L’Art de la guerre de Sun Tzu est un ouvrage mondialement connu, une référence en la matière. Pour autant, ce qui m’intéresse aujourd’hui, varie dans l’usage d’une simple préposition. Si on en remplace de par dans, on obtient un sujet bien plus à même de nous captiver. En effet, l’art dans la guerre est à l’origine de milliers d’œuvres et de genres artistiques qui forgent notre société et existence.
Étudier l’incidence de la guerre sur l’art c’est parcourir les espaces et les siècles, tenter de comprendre le cheminement de notre humanité. Cela nous interroge sur les notions de mémoire et d’histoire. Non, aujourd’hui nous n’allons pas nous concentrer sur les œuvres militaires. Ni même les rapts d’œuvres africaines, comme nous l’avons vu dans mon article précédent.
L’objet de notre concertation s’appuie sur un mouvement émergeant au cœur de la guerre, tout particulièrement la première guerre mondiale. Vous l’aurez déjà lu dans le titre, je vous parle du mouvement dada.
Copie originale de l’Art de la guerre – Sun Tzu – lamelles de bambous (courtoisie de l’université Riverside (Californie – USA)
Les origines du mouvement dada
Revenons aux origines de ce mouvement qu’on connaît généralement sous le nom de dada. Tristan Tzara est d’origine roumaine, on lui confie de manière générale la création du dadaïsme. Huelsenbeck, un autre fondateur du mouvement, lui rechigne toute implication. En réalité, la relation des deux hommes est très conflictuelle et peut expliquer ce contresens.
De fait, le mouvement est né à Zurich en 1916. Il semblerait que sa naissance remonte à une soirée de cabaret au mois de février. Les principaux acteurs sont donc Tristan Tzara, Marcel Janco, Hugo Ball et Emmy Hennings. Les deux derniers cités sont justement les fondateurs de ce Cabaret Voltaire. Le lieu devient rapidement mythique en seulement 6 mois. Ouvert de février à juillet il est rapidement fermé pour cause de tapage nocturne.
Les échanges entre les artistes dada
Néanmoins, durant ces quelques mois de nombreux artistes s’y rassemblent. Non pas pour faire la fête comme le nom pourrait l’indiquer, mais pour échanger. En effet Hugo Ball membre Dada, qui est à l’origine un écrivain, en parle avec soin lors de l’ouverture du cabaret.
« Mesdames et messieurs, le Cabaret Voltaire n’est pas une boîte à attractions comme il y en a tant. Nous ne sommes pas rassemblés ici pour voir des numéros de frou-frou et des exhibitions de jambes, ni pour entendre des rengaines. Le Cabaret Voltaire est un lieu de culture. »
Toute l’ironie du nom ressort dans cette citation inaugurale. D’un côté le milieu de la nuit est sommairement évoqué par le mot « Cabaret ». Il en laisse certains rêveurs tandis que l’évocation du philosophe Voltaire refroidit quelque peu.
Aujourd’hui, le lieu sert toujours de plateforme pour les artistes contemporains et propose des soirées et expositions, parfois en hommage au Dada.
Le Cabaret Voltaire aujourd’hui – Photo de Christian Schnur
La Suisse comme terre originelle
Vous l’avez compris nous sommes en plein cœur de la Première Guerre Mondiale. La Suisse étant un pays neutre, depuis le Traité de Vienne de 1815, elle n’a pas participé à ce conflit. Pour autant, il influence l’économie, la politique et la vie sociale du pays.
Le pays devient un lieu de refuge pour les artistes qui ne souhaitent pas s’engager dans la guerre. Tous les artistes Dada souhaitent créer contre la guerre.
Ils considèrent que les formes d’art des précédentes avant-gardes n’ont pas réussi à empêcher la guerre. Par conséquent, Dada s’y oppose radicalement notamment en ne s’engageant pas dans une pratique picturale.
Au contraire, ils s’inscrivent en rupture avec toutes les formes d’art engageant trop la main de l’artiste.
Les artistes Dada conçoivent la peinture comme une sorte de «politiquement correct» qu’il faut bannir au profit d’autres formes plastiques. Toutes ces formes sont cohérentes par rapport aux attitudes qui sous-tendent les créations dada.
La libération du mouvement dada
Il n’y a pas de style particulier qui caractérise le mouvement Dada. Il est vrai que le maître mot est la liberté individuelle mais aussi plastique. Ils vont libérer le matériau en intégrant à leurs œuvres tous types de matières et d’objets. C’est la rupture entre la noblesse et la banalité des matériaux.
Tous peuvent être source de création.
Il est aussi nécessaire de libérer le mot (tel que déjà amorcé chez les futuristes) et en ce sens, il y a un important développement au niveau du langage. Il y a également un travail important sur la photographie et les médias par le biais des photomontages.
Ce qui est important avant tout c’est de créer une rencontre entre l’art et la vie. Le but étant de casser cette cloison par tous les moyens possibles : plastiques, visuels, poétiques et sonores.
Deux syllabes qui en disent beaucoup
Dada c’est la juxtaposition de deux syllabes identiques qu’il faut prendre dans ce sens.
C’est aborder le langage avec la phonétique et la rythmique.
Dada est un cri de ralliement. Il y a beaucoup de recherches sur les circonstances de la création de ce mouvement. On n’a jamais vraiment trouvé d’explications claires et précises.
Ainsi, il est probable que les artistes aient fait exprès de montrer que c’était un mot issu du hasard. Tout comme il est difficile de comprendre qui en est à l’origine. On a parlé succinctement de Tristan Tzara au début, mais en réalité il n’y a pas d’individus à la base de Dada. C’est véritablement un collectif d’artistes.
D’ailleurs, dans ce mouvement il y a une « égalité » homme/femme et pas de différence statutaire ce qui est exceptionnel à cette époque.
En fait, il n’y avait qu’une deux femmes connues mais c’était tout de même une exception dans la paysage médiatico artistique de l’époque.
Papillons – Tristan Tzara – 1919
Des écolos (mais pas bobo) avant l’heure !
Les artistes Dada travaillent principalement à partir de matériaux de récupération. Leurs créations portent la transmutation du déchet vers un nouveau potentiel de vie et de création. Ils s’intéressent ainsi au hasard.
Jean Arp réalise par exemple un papier collé en 1916 qu’il intitule Selon les lois du hasard. Il est réalisé avec des matériaux de récupération, des papiers d’emballage, des sacs en papiers… Le tout découpé au massicot sans l’intervention du geste humain.
Chez Dada il y a une réelle intention de limiter l’intervention personnelle de l’artiste. C’est un refus total du geste humain. On cherche à s’opposer à cette logique humaine qui a conduit à la guerre. En la limitant on se contente d’expérimentations simples. Pour les artistes, il est nécessaire de proposer des œuvres qui doivent intéresser les hommes au hasard et à la nature pour les écarter de la guerre.
Ici on se situe totalement dans la joie tragique de Nietzche.
Selon les lois du hasard – Jean Arp – 1916
À l’encontre de la machine
Les artistes Dada se sont aussi beaucoup intéressés à la psychanalyse qui est une récente découverte. Il y a ainsi un questionnement important sur l’inconscient de l’être humain.
Sophie Taeuber réalise Tête de Dada en 1918. Cette tête est anonyme et n’a pas de visage. On pointe ici la déshumanisation qui est en relation avec la machine et par conséquent avec la guerre. La marionnette est aussi un prototype de l’homme robot. Sophie Taeuber en réalise énormément, souvent peintes avec des couleurs très simples. C’est l’idée d’une déshumanisation avec un ajout ludique.
Tête de Dada – Sophie Taeuber – 1918
A l’encontre de la guerre
En somme, Dada est une avant-garde de guerre contre laquelle elle s’oppose. Dans les années qui précèdent immédiatement le déclenchement de la Première Guerre mondiale on assiste à un renouveau. Notamment des tentatives de suppression des frontières entre les différents genres artistiques.
Poésie, peinture, théâtre, photographie sont mêlés de toutes les façons possibles. Ce qui prépare ainsi l’éclosion du mouvement Dada en 1916 ainsi que sa volonté de mettre fin à la catégorisation de l’art en soi.
La source lointaine de cette remise en question est sans conteste la typographie novatrice adoptée par Mallarmé. Utilisée pour la publication de son poème en vers libres Un coup de dé jamais n’abolira le hasard en 1898, les blancs de la page jouent avec le texte imprimé générant des rythmes et un sens de lecture inhabituels.
Influence artistique
De même en 1914, Apollinaire publie dans sa revue Les Soirées de Paris ses premiers Caligrammes. Les mots écrits prennent la forme de dessins qui participent pleinement au sens du poème. Difficile d’oublier également Les mots en liberté futuriste (1919) de Marinetti qui détruisent la syntaxe et la disposition linéaire. Les mots sont jetés en désordre sur la page, ils sont libérés de leur sens habituel. On assiste à la création d’un nouveau langage qui va à rebours du sens connu et de la logique.
Ceci influence le mouvement Dada.
Les mots en liberté futuriste – Marinetti – 1919
Au-delà du genre
Dans cette perspective, on dispose d’un document d’archive d’Hugo Ball, l’un des principaux membres de Dada, qui est une performance de poésie sonore. Elle s’intitule Karawane et est une réflexion sur l’homme machine. D’ailleurs, il porte un costume fait de matériaux simples formant des lignes géométriques simples.
Sa performance est une rupture totale avec le vers vers libre. Il ne cesse de jouer avec les onomatopées. Ici, on se trouve dans un échange entre le chant primitif et la poésie.
Dans le Dada on ne cloisonne plus ce qui appartient au regard et ce qui appartient à l’écoute. La typographie joue un rôle déterminant puisqu’elle guidait la lecture du poème. Aussi, tout ce qui relève d’une pensée de la dualité est banni.
Il y a un intérêt pour le primitif et le nouveau. En effet, le progrès ayant mené à l’horreur, les artistes renouent avec tout ce qui est originel dont l’avant langage.
C’est donc un nouveau rapport au langage qui se met en place au sein du Dada.
Une destruction positive
Tristan Tzara dans le Manifeste Dada rédigé en 1918 explique qu’il y a « un grand travail destructif à accomplir. Balayer, nettoyer. »
Le peintre Marcel Janco également roumain ajoute quant à lui:
« Nous avions perdu tout espoir de voir l’art accéder, dans notre société, à des conditions de vie plus équitables. […] Nous étions hors de nous devant les souffrances et l’avilissement de l’humanité. »
C’est pourquoi les artistes Dada sont des destructeurs de codes. Ils refusent la logique, l’ordre et le rationalisme qu’ils considèrent comme étant à l’origine de la guerre.
Dada est destructif.
Regardons les productions du mouvement Dada
Jean Arp réalise en 1916 Tête de Tzara. C’est une œuvre à base de bois de récupération. Il y a une volonté de rupture, mais aussi de produire avec ce que l’on trouve facilement et ce que l’on a à portée de main.
C’est une forme abstraite, mais Jean Arp ne cherche pas du tout à faire de l’abstraction. Au contraire, ce artiste Dada veut questionner le tableau de chevalet avec de nouveaux moyens.
On trouve l’idée d’une vie cellulaire – primitive – qui n’a pas été atteinte par la guerre et qui peut encore lutter contre elle. Jean Arp crée lui-même le format de son œuvre et les éléments de bois découpés sont peints. En somme, il n’y a pas de langage pictural cohérent au sens académique du terme.
Les différents éléments sont superposés. On peut même voir les vis qui ont permis l’assemblement du tout.
Ainsi, vous le voyez, l’idée est de tout montrer. C’est une façon pour Dada de rompre avec l’illusionnisme et le mimétisme d’antan.
Portrait de Tristan Tzara – Jean Arp – 1916
Trousse de secours pour Dada
En 1921 Jean Arp toujours réalise Trousse d’un Da. Cette œuvre est à nouveau faite de matériaux de récupération dont des bois issus de la mer. On parle plus communément de bois flotté. Le choix de ce matériau ici, est très important. Certains sont laissés bruts tandis que d’autres recouverts de peintures. C’est pour montrer une équivalence entre le matériau noble et le matériau brut. On rompt ici avec la hiérarchisation des formes.
Outre un discours sur l’art , l’artiste présente également l’image métaphorique de la trousse de survie de Dada en temps de guerre.
Trousse d’un Da – Jean Arp – 1920
Une femme emblématique du mouvement dada
Sophie Taeuber, dont j’ai parlé plus tôt, est la compagne de Jean Arp. Tous deux membres de Dada, ils travaillent ensemble dans le but d’affirmer le collectif. Elle a entre autres réalisé une tapisserie en 1916-1917 du nom de Symétrie pathétique dans laquelle, elle questionne l’abstraction et ouvre le champ de la création.
Cette tapisserie valait pour un tableau car elle était accrochée au mur et est la première tapisserie abstraite de l’histoire de l’art. Elle porte ainsi un questionnement sur les rapports entre l’art et l’artisanat.
Sophie Taeuber était aussi danseuse et elle travaillait avec un célèbre chorégraphe hongrois du nom de Rudolf Laban (1879) qui avait lui-même une compagnie de danseurs. Ce dernier va renouveler la danse contemporaine.
En effet, il est un précurseur et une inspiration pour le Dada. Les danseurs étaient presque nus et dansaient également pieds nus. La dimension de l’improvisation est revendiquée et correspond au hasard. On abandonne ainsi tous les gestes académiques pour inventer une nouvelle danse.
Dada en Allemagne
En 1918, le manifeste Dada est écrit et signé par Tristan Tzara avec la collaboration des autres artistes.
À Berlin la dimension de la censure est très forte et la situation socio économique catastrophique. Cela explique que le contenu de Dada en Allemagne soit orienté vers la critique sociale et politique.
En novembre 1918 c’est la fin de la guerre et en 1919 l’établissement de la République de Weimar. Les artistes Dada qui sont des communistes vont lutter contre cette république « bananière ».
C’est dans cette optique qu’ils inventent et utilisent le photomontage car c’est un bon outil de détournement et de contre propagande.
Les artistes Dada dénoncent notamment l’Église, l’armée et l’éducation.
À l’origine du photomontage
Raoul Hausmann et Hannah Höch sont les inventeurs du photomontage.
Hausmann réalise en 1920 Dada vaincra. Cette œuvre est réalisée avec des photos découpées dans des magazines. Il crée une œuvre de contre propagande à part entière :
C’est-à-dire que les images sont détournées pour dénoncer et proposer une autre vision.
Le photomontage, c’est l’idée de produire une forme totale à partir de fragments et de différents éléments.
On retrouve l’importance de la machine et de l’ère industrielle avec la présence dans l’image des chaînes de productions et des rouages.
Le langage est à nouveau présent et forme un cri de ralliement !
D’autre part, à ce moment là, les artistes Dada sont en relation avec un psychanalyste, Otto Gross, qui travaille dans les hôpitaux psychiatriques. Le mouvement Dada se demande si finalement les fous ne seraient pas les seuls à ne pas être sujet à la folie meurtrière de la guerre.
Raoul Hausmann, Dada triomphe ou Dada siegt ou Dada vaincra, 1920
L’influence de la folie dans l’art Dada
En effet, comme le fera Jean Dubuffet après la Seconde Guerre mondiale, ils s’interrogent sur la folie et les œuvres réalisées par les fous.
Gross discute la thèse de Freud. Selon lui, la source principale des troubles psychiatriques n’est pas la sexualité, mais la plus ou moins bonne implication de l’individu à la société.
Il esquisse ainsi une réflexion sur la folie. Selon lui, l’écart de la norme ne conditionne pas la dégénérescence, mais peut, au contraire, devenir l’espace du génie. Otto Gross souligne l’importance d’une révolution totale qui englobe le domaine culturel. Il publie de nombreux articles dans des revues révolutionnaires ou Dada.
Dans l’un d’entre eux, il estime que le pouvoir et les institutions autoritaires s’imposent au détriment de l’épanouissement des individus.
Rétrospectivement, on aurait envie de dire : rien de nouveau sous le soleil… !
Un alphabet destructeur
Hausmann réalise en 1923-1924 ABCD. La typographie tient une place importante. On retrouve énormément de supports papiers issus de la ville. Il y a une dynamique forte avec toutes les obliques. Avec les photomontages d’Hausmann on assiste à une forme de destruction/reconstruction de toute figure. Des éléments hétérogènes (coupures de journaux, images, objets trouvés) sont collés sur une surface plane pour créer un nouvel espace narratif homogène.
Leur aspect volontairement négligé, confus, morcelé, en somme non artistique, fait exploser le motif en tout sens. Il contrarie l’imposition d’un centre et d’un ordre logique.
ABCD – Raoul Hausmann – 1923-24
La destruction pour parer la déshumanisation de la guerre
Il réalise aussi Tête mécanique, l’esprit de notre temps en 1919. On parle ici de sculpture montage. Il s’agit d’une marotte de coiffure et d’un travail d’assemblage tridimensionnel qui questionne la sculpture.
Dada questionne en effet toutes les formes de l’art. On retrouve cette idée de la déshumanisation. L’artiste a fixé sur la marotte, un porte-monnaie, un gobelet, une règle et d’autres objets hétéroclites. Hausmann donne ici à voir une représentation éclatée de l’art et de la vie.
Une vie à laquelle il s’avoue lui-même contraint par « les monstrueux événements de notre temps où toutes les valeurs solides sont devenues relatives et incertaines. »
Raoul Hausmann – Tête mécanique – 1920
La seule, mais pas des moindres
Hannah Höch est la seule femme du club Dada à Berlin. Malgré les réticences de Georges Grosz elle participe à la première foire internationale Dada en 1920. En particulier grâce à l’intervention de Raoul Hausmann, son compagnon, qui estime son travail.
Elle y présente son collage Coupé au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle de l’Allemagne, celle de la grosse bedaine weimarienne.
La confusion, la violence et l’incohérence de l’époque se lisent dans ce photomontage. L’artiste y passe en revue les événements marquants de l’année 1920 à Berlin. Lisibles entre les images photographiques, les lettres découpées dans des journaux reprennent des slogans dadaïstes comme « Adhérez à Dada ! » « Dada triomphe ! ».
Hannah Höch – Coupé au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle de l’Allemagne, celle de la grosse bedaine weimarienne – 1920
Féministe…
Elle réalise également un photomontage en 1919, Da-dandy. Elle peut être considérée comme une pionnière du féminisme dans l’art.
Elle est notamment connue notamment pour questionner les images de la femme dans les médias. A contrario, elle revendique une nouvelle idée de la femme. Il y a tout un jeu de langage dans son travail. Höch découpe des formes dans les magazines féminins, crée une démultiplication des visages et met en exergue la construction sociale d’un prototype féminin.
De plus, elle intervient sur le collage par un trait dessiné à la craie rouge, ce qui vient structurer l’œuvre et orienter le regard. Elle reste fidèle à cette technique toute sa vie pour exprimer, comme elle le déclare en 1977, « ses critiques, ses sarcasmes, mais aussi ses malheurs et la beauté. »
Hannah Höch – Da Dandy – 1919
…avant l’heure
Le trait rouge à la craie grasse, met habilement en image, à partir de différentes découpes photographiques, la relation d’Hausmann à la femme. Cette dernière, semble occuper la totalité de sa tête.
En effet, dissimulé, mais lisible derrière une multitude de visages féminins, le profil de son compagnon se dégage au centre de la composition. La complexité du photomontage où les différents visages s’imbriquent, est ainsi à l’image de la relation complexe des deux artistes.
Les jeunes rivales constituent la tête de l’amant écartelé entre sa femme et sa maîtresse Hanna Höch. Malgré les affres qu’une telle relation implique, le travail d’Höch reste empreint d’une légèreté lisible par la découpe des deux pieds élégamment chaussés, qui esquissent un pas de danse.
Pour conclure, analysons l’influence du mouvement Dada, de nos jours !
Parce que Dada introduit, entre autres choses, le matériau de récupération dans la production artistique, il s’impose comme une véritable révolution esthétique. D’autre part, au delà du propos esthétique, Dada s’engage politiquement et idéologiquement.
En simplifiant le processus artistique, les artistes ouvrent le champ de possibles en termes de potentiel créatif.
Ainsi, tous les artistes et ce, jusque dans les pratiques les plus actuelles, faisant usages du photomontage, de l’assemblage et des matériaux de récupérations doivent quelque chose au mouvement Dada.
Historiquement on pense plus précisément aux artistes américains du style néo Dada. Notamment Robert Rauschenberg avec ses combine paintings. Sans oublier, le Nouveau Réalisme en France avec, pour ne citer que cela, les accumulations d’Arman.
Arman, Home, sweet home, 1960