Aujourd’hui, j’ai envie que l’on se penche ensemble sur l’art contemporain africain.
En effet, on assiste, depuis une dizaine d’années, à un regain d’amour en Occident et plus particulièrement en France de l’art contemporain africain.
J’écris cet article en toute humilité car mes connaissances sur le sujet sont bien en dessous de celles dont je dispose sur l’art occidental.
Il résulte de l’envie de combler un vide heuristique en la matière. En effet, en 10 années d’études, on ne m’a JAMAIS parlé d’art contemporain extra occidental. Art africain, dans l’inconscient collectif, rime plus souvent avec art premier qu’avec art contemporain!
Je reviendrai sur cet aspect, dans un prochain article consacré à la décolonisation des arts et de la pensée.
Il s’agit donc pour moi, d’une découverte tardive que j’approfondis chaque jours un peu plus. C’est pourquoi, cet article n’a aucune prétention à tout dire et se présente plutôt comme un modeste état des lieux autour des grandes capitales de l’art en Afrique.
Pour commencer
On attribue généralement l’essor de l’art contemporain africain aux alentours des années 1980-1990. Il serait l’évolution même de l’art moderne africain. Ainsi, cet article est l’occasion de déchiffrer cet art qui reste méconnu.
Pour l’occasion on regardera dans un premier temps les rendez-vous phares de l’art contemporain africain. En effet, les grandes capitales africaines de l’art accueillent d’importantes expositions, dont Paris se fait l’écho.
Dans un second temps, je vous propose un focus sur des artistes contemporains africains et de sa diaspora que j’affectionnent particulièrement.
Qu’est-ce qu’il y avait avant l’art contemporain africain ?
Pour bien comprendre l’art africain, il semble nécessaire de comprendre les fondements historiques et culturels du continent. On parle très souvent et à juste titre, de l’Afrique comme du berceau du monde et de l’humanité.
Les grands royaumes d’Afrique ont longuement régné sur le continent, avant les ravages de l’esclavage puis de la colonisation.
Les nombreuses dynasties, royaumes et principautés étaient sans conteste des monarchies aimées et respectées. L’art en était d’ailleurs le faire-valoir car il permettait aux populations de magnifier et glorifier leurs souverains.
L’art royal du Bénin est à ce titre, l’un des plus remarquables. On parle d’un art royal car il a permis de mettre en exergue la puissance du royaume en faisant notamment usage du bronze. Les Têtes d’Ife, découvertes au Nigéria par exemple, représentent, a priori, des têtes de reines. Elles sont l’expression même d’un développement culturel, mais aussi cultuel.
Tête en bronze du Royaume d’Ifé des Yorubas au Nigéria / 12ème-15ème siècles / Hauteur : 41cm / Poids : 4.3kg
L’avant colonisation
L’histoire de l’Afrique est complexe et il n’est pas possible d’en parler sans évoquer son douloureux passé esclavagiste.
Avant la colonisation, un autre drame s’abattait sur le continent : celui des traites négrières qui abolissent et annihilent les royaumes africains.
Pour autant l’histoire n’est jamais manichéenne et nombreux sont ceux qui ont participé à cette exploitation humaine. Aussi, réduire l’histoire de l’esclavage aux traites négrières et aux plantations de coton des États-Unis, c’est occulter une partie de l’histoire.
Néanmoins, et c’est là le point le plus important, les différentes traites négrières restent des traumatismes historiques et agissent comme des événements symptômes au sens de Georges Didi-Hubermann. Événements dont l’art contemporain africain porte les traces.
L’histoire géo-politique de l’Afrique est en elle-même délicate et l’arrivée des colons n’a fait qu’empirer et rendre difficile le développement et l’épanouissement de nombreux pays.
Marché aux esclaves de Zanzibar, deuxième tiers du 19ème ©Bojan Brecelj/Corbis
Un contexte économique, politique et social
Le continent africain s’est beaucoup transformé durant le siècle dernier. Marqués par la colonisation des pays occidentaux, la plupart des États obtiennent leur indépendance entre les années 1950 et 1970. Variant entre régimes autoritaires et démocraties brinquebalantes, il est difficile dans un tel contexte de trouver son équilibre.
Les effets de la colonisation, prenant part durant la majorité du 20ème siècle, sont conséquents. Ils forment et dessinent les contours, non seulement des frontières, mais aussi des politiques. L’économie africaine est peu développée car souvent corrompue tandis que sa croissance démographique est la plus importante au niveau mondial.
D’un point de vue sanitaire et social, les populations subissent une forte malnutrition, avec près de 250 millions de personnes sous-alimentées. De plus, l’accès à l’éducation se fait de manière très inégale. L’UNESCO rapporte en 2018 que le taux d’alphabétisation en Somalie est de 11,45% contre 87% au Kenya.
Un continent meurtri par les guerres
Au-delà de la guerre contre la faim, de nombreux pays subissent des conflits dévastateurs et sans fin. Pour la plupart, on parle de guerres civiles. Les caractères d’oppositions prennent souvent la forme de contresens ethniques, et/ou religieux.
Pour n’en citer qu’un, prenons le Génocide des Tutsi au Rwanda de 1994. Les Tutsi sont un groupe de population minoritaire du Rwanda, des éleveurs de classes moyenne supérieure. Contrairement à eux, les Hutu, agriculteurs, étaient bien plus pauvres. Peu à peu, une idéologie raciste envers les Tutsi s’est développée.
Considérés comme supérieurs par les colons, les Tutsi furent pris pour cible lors de l’indépendance du Rwanda. Cette minorité a subi entre avril et mi-juillet 1994 un génocide exterminant les trois quarts de la population Tutsi.
L’ONU estime que 800 000 personnes ont perdu la vie. Un chiffre qui atteint en réalité le million.
Le célèbre photographe brésilien Sebastião Salgado a suivi la route de l’exil des Tutsi et a documenté le génocide. Ce fut pour lui, un moment de bascule. Il en dira :
» J’y ai vu les choses les plus terribles qu’on puisse imaginer. Des centaines de cadavres dévalant une rivière, la route vers Kigali jonchée de corps découpés, des camps où s’entassaient des millions de personnes, vite atteintes par le choléra et disposées en piles qu’agrippait une pelle mécanique pour les jeter dans des fosses communes. J’ai perdu foi en l’humanité. Mon corps et ma tête m’ont lâché. Mais comment arrêter ? Il fallait montrer ce moment inouï de l’histoire de l’humanité. »
Sebastião Salgado, Rwanda, 1994. ©Sebastião Salgado
Une reconstruction difficile
Nous le voyons, l’esclavagisme, le colonialisme et la mise en place d’états indépendants créent un cercle vicieux. Fracturé de toute part, le continent se démène pour prospérer de manière saine. Difficile quand la plupart des pays se mènent des guerres sans relâche. Les bouleversements considérables que l’Afrique subit depuis des décennies ne cessent de perdurer encore aujourd’hui.
Il apparaît presque dérisoire de rappeler que les métamorphoses induites par le colonialisme subsistent encore et toujours. Succédant aux traumatismes de la traite négrière et de l’esclavagisme, les puissances coloniales ont elles-mêmes attisés ces conflits.
Laissant derrière elles des pays meurtris, les frontières marquant encore leur passage brimant des populations auparavant homogènes. Comment créer un État, un gouvernement, dans cet ensemble démuni, brisé.
Carte originale de l’Afrique gravée sur cuivre vers 1760
De nos jours
Désormais, les disparités sont toujours d’actualité. L’évolution des pays est très différente d’une frontière à l’autre.
Dans ce contexte, la présence de l’art ainsi que sa réception se développent plus particulièrement dans les zones exemptes de conflits.
On verra que certaines villes, voire capitales, seront souvent citées tout au long de cet article. Je vais parler, pour ce premier article sur le sujet, en particulier de Dakar (Sénégal), Kinshasa (RDC), Johannesbourg (Afrique du Sud), ou encore Marrakech (Maroc).
Retour sur un collectionneur d’art contemporain africain
Lors d’une précédente newsletter je vous partageai la triste nouvelle du décès de Sindika Dokolo. Né à Kinshasa au Congo, cet homme d’affaires et collectionneur d’art a beaucoup fait pour l’évolution et la monstration de l’art en Afrique. Il est à l’origine de la création d’une fondation éponyme, la Fondation Sindika Dokolo. Celle-ci vise à promouvoir les artistes et les festivals d’art. Elle héberge également sa collection personnelle d’art contemporain.
Collection qu’il faisait voyager pour exposer au public africain l’art contemporain africain. De même, il s’est grandement engagé pour la restitution des œuvres d’art africaines. C’était pour lui, une manière de remettre l’art au cœur de la société et de vivre avec.
Sindika Dokolo, 2019 ©Didier Claes
Les principaux rendez-vous de l’art contemporain africain
Le calendrier des biennales, foires et autres expositions est riche et vivant. Je vous le rappelle assez souvent avec mes articles consacrés aux rendez-vous de l’art contemporain. Cette fois-ci, j’ai sélectionné pour vous quelques-uns des rendez-vous de l’art contemporain africain à ne pas manquer.
Afrique du Sud x Foire d’art
Je vous présente dans un premier temps le FNB Art Joburg, la foire d’art contemporain de Johannesburg. L’édition 2020 a vu sa programmation se dérouler en ligne, compte tenu du contexte sanitaire. Cette 13ème édition a su innover et s’accommoder en proposant des présentations d’artistes ainsi que leurs travaux. Une expérience en réalité augmentée était également proposée ainsi que des conférences en ligne ZOOM. De quoi braver la distance ! Je vous invite grandement à consulter leur instagram mettant en valeur les œuvres à l’honneur lors de cette foire.
Mandla Sibeko, le directeur de la foire accueillait l’édition 2019, comme « quelque chose de positif ». En effet, elle s’est tenue du 13 au 15 septembre, quelques jours après les violences xénophobes et anti-pauvres.
De ce contexte tendu naît le travail de la lauréate du prix FNB Art 2020, Lady Skollie artiste féministe militante.
Lady Skollie, 2019, Stevenson Gallery
La Biennale made in Dakar
L’un des événements phares de l’art contemporain africain a lieu au Sénégal. Il s’agit de la Biennale de Dakar. Intitulé également Dak’Art, c’est la plus ancienne biennale de ce genre en Afrique, sa première édition date de 1990.
Elle a lieu toutes les années paires (sauf 1994 et 2020), et est l’une des pionnières en la matière. En effet, depuis 1996 sont exposées uniquement des pièces de créateurs africains.
Cette mise en valeur n’est pas anodine, elle cherche à pousser sur le devant de la scène des artistes peu connus. Mais surtout, des créateurs n’ayant pas les moyens d’être connu et reconnu dans les événements internationaux. La Biennale est aussi l’occasion de partager et de valoriser l’art sur le continent.
Biennale de l’Art Africain Contemporain de Dakar, mai à juin 2006 – Catalina Briceno
faits et effets de la Biennale sur l’art contemporain africain
En parlant d’art contemporain africain, on ne le définit plus sous les contours et les attentes du monde occidental. Dès lors que la Biennale prend le nom de Biennale d’Art contemporain Africain, elle exclut tout travail n’étant pas d’origine africaine.
Ce qui exclut de fait tout artiste n’étant pas d’origine africaine. Un souhait formulé clairement par le Sénégal, dans un but d’exclusivité et de mise en valeur exceptionnelle des biens de culture africaine. Cette production culturelle devient de plus en plus actuelle, délaissant peu à peu les travaux se concentrant sur la symbiose des cultures.
En effet, lors des deux premières éditions, on remarquait que les artistes cherchaient à mélanger deux genres. C’est-à-dire une esthétique issue de l’art contemporain se combinant avec une esthétique artistique locale. Cette dernière ramenant indéniablement aux racines de l’art traditionnel.
D’hier à Aujourd’hui, une diversité des pratiques
Au départ, l’art contemporain africain se concentrait principalement sur les médiums de la peinture et de la sculpture. À l’encontre de l’art africain traditionnel qui, lui, se manifeste sous le prisme de nombreuses formes plastiques et visuelles. Mêlant la représentation, la danse, la sculpture, ou l’art corporel, cet art est drastiquement différent.
Puisant sa source aux origines du monde, l’art traditionnel est peu à peu considéré comme l’art chéri du colon. Victime du pillage colonial, l’art traditionnel africain a été longtemps malmené par les ex pays colonisateurs. Pour autant, la restitution des œuvres d’art, votée par l’Assemblée Nationale en France par exemple, fait débat.
En effet, cette décision affole les marchés d’art occidentaux décriant un mal-amour des musées et de leurs origines. De l’autre côté cependant, c’est un juste retour des objets d’art pour les pays africains et particulièrement les jeunes générations.
Désormais l’objet d’art contemporain africain prend de nouvelles formes, notamment des photographies et installations toujours plus significatives.
Statues du Palais Royal d’Abomey, Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Paris, ©Creative Commons, Jean Pierre Dalbéra
Des salons d’art contemporain africain à l’internationale
L’art contemporain africain s’exporte allègrement à l’étranger. Justement, la 5ème édition de la foire AKAA devait avoir lieu à Paris du 12 au 15 novembre. Also Known As Africa est la première foire dédiée à l’art contemporain africain (et de design) en France. Reconnue pour sa diversité et sa pluralité, la foire met en valeur l’art contemporain africain. AKAA est fondé par Victoria Mann qui a été formée et sensibilisée à l’art africain en faisant ses études à Chicago. Cette précision est intéressante car elle permet de montrer à nouveau le retard désolant de la France sur les États-Unis.
Les artistes qui y sont exposés ont tous un rapport très étroit avec l’Afrique. En 2019, l’édition présentait plus de 138 artistes, provenant de 40 pays différents.
La foire 1 :54 de Marrakech est également un événement majeur de l’art africain contemporain. Elle s’est rapidement imposée comme une plateforme de référence et son succès permet de comprendre l’engouement toujours plus grand pour l’art contemporain africain.
Les oeuvres de Kyle Meyer © Foire d’art contemporain africain 1:54 à Marrakech, 2018
L’art contemporain africain au cœur du changement
On aperçoit une réelle mutation dans la considération de l’art africain. Exit les statuettes et les masques, on oublie les stéréotypes! L’art africain contemporain apporte un regard nouveau sur l’Afrique.
Le marché ne cesse de s’exporter et de s’affirmer. L’intérêt des collectionneurs d’art et des critiques d’art s’éloigne un peu du monde occidental. Néanmoins, il convient de souligner le fait que le marché intérieur est très peu porteur. La situation instable de nombreux pays ne permet pas le développement soutenu d’un tel marché de l’art. Seule l’Afrique du Sud est prête à vraiment soutenir les artistes.
Bien que les initiatives ne cessent de se multiplier, il reste tout de même compliqué de s’insérer sur le marché.
Les artistes de l’art contemporain africain
Des messages significatifs venus des afro-américains
La liste est longue mais j’ai envie de vous parler ici de Jonathan Lyndon Chase un artiste afro-américain. Il est né et a grandi à Philadelphie et son œuvre fait résonner les problématiques noires. En effet, il dépeint la vie des hommes queer noirs par la peinture, la sculpture, le dessin et le collage.
Il explore allègrement les limites entre les genres, les origines et la sexualité par le biais de références culturelles fortes. Son travail se concentre généralement sur le comportement des corps noirs dans les actions du quotidien. Ces dernières peuvent être banales comme chargées d’émotions, représentant des scènes d’amour gays par exemple.
L’art en Afrique du Sud
Il me tient à cœur de vous parler de certains d’entre eux. Plus tôt, on parlait de l’ère monarchique africaine. Les reines y étaient représentées sous la forme des têtes d’Ifé. De nos jours, Zanele Muholi, revisite ce savoir-faire par le biais de la photographie. L’artiste sud-africaine livre des autoportraits édifiants et lumineux, en noir et blanc. Militante lesbienne, sa série Somnyama ngonyama retrace en 365 images, les 365 jours de l’année que vit une femme noire.
Pour elle, la photographie est avant tout un activisme visuel, au-delà de l’art, sa portée politique est essentielle. Son travail est porteur de sens, puissant et sensible. Un tel activisme n’est pas incohérent dans un pays qui condamnait encore, au temps de l’apartheid, l’homosexualité.
Je vous convie à voir ou revoir mon igtv à son honneur, pour en apprendre un peu plus!
« Phila I », Parktown, 2016. Zanele Muholi
Kendell Geers : L’art contemporain pour conjurer l’apartheid
Kendell Geers naît pendant l’apartheid, dans une famille afrikaner (de couleur de peau blanche). Rompant avec sa famille, dès l’âge de quinze ans il se rapproche des mouvements anti-apartheid. En 1985, il intègre l’Université de Witwatersrand pour étudier l’art et échapper au service militaire. En 1988, refusant toujours de servir dans l’armée, il a le choix entre l’emprisonnement et l’exil. Assistant du photographe Richard Prince, à New York, Kendell Geers retourne néanmoins en Afrique du Sud après la libération de Nelson Mandela en février 1990. Cette même année, il crée alors une œuvre cathartique : Bloody Hell. Soit une performance durant laquelle il se couvre de son propre sang. En 1993, il change son nom et sa date de naissance. Devenant Kendell Geers, né en mai 1968. En 1997, en sa qualité d’artiste, critique et curateur, il publie Contemporary South African Art. Ouvrage auquel participe notamment Okwui Enwezor.
Kendell Geers, Bloody Hell – Version 2, 1990 ©Galerie Stephen Friedman
L’art contemporain africain au Congo
Nous retournons en République Démocratique du Congo. Là où la SAPE règne. La Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes y est un réel facteur d’identité. D’ailleurs, les deux artistes dont je vais vous parler, en sont pionniers…
Il est impossible de parler de l’art africain contemporain et de ne pas citer Chéri Samba. D’autant plus qu’il est l’un des représentants les plus connus de ce genre. Nombreuses de ses œuvres sont exposées dans des musées plus que reconnus. Entre autres le Centre Pompidou et le MoMA à New-York. Autodidacte, il commence très tôt la peinture à 16 ans et part s’installer à Kinshasa pour développer son art.
Son travail explore les limites du quotidien et de l’esprit. Il navigue entre des notions de satire sociale et de représentation de l’ordinaire. De plus, il n’hésite pas à emprunter des techniques à l’art de la bande dessinée comme les phylactères.
La vraie carte du monde – Chéri Samba – 2011
D’un artiste Chéri à un autre
Dans la même veine que Chéri Samba, Chéri Chérin, de son vrai nom Joseph Kinkonda, dépeint le quotidien et ses frasques. Également originaire de la République Démocratique du Congo, le travail de l’artiste repose sur une analyse de sa société. Ses œuvres étaient parfois considérées comme tellement virulentes qu’il eut quelques ennuis. En effet, amateur de satire politique, son travail devient problématique lors des dernières années de la présidence de Mobutu.
Chéri Chérin aborde des sujets certes dérangeant comme les sévices sexuels au Sud-Kivu. Pour autant, son regard va au-delà des problématiques de son pays pour s’étendre aux problématiques internationales. Sa critique par le pinceau lui vaut un succès particulier saluant son génie et sa franchise. Il prend sous son aile le désormais renommé JP Mika, qui expose en 2015 à la Fondation Cartier. Son style privilégie les portraits très colorés et joyeux.
Congo Kitoko, Joseph Kindonda dit Chéri Chérin, 2015
Vers l’Ouest, la terre des Lions
Le Sénégal est une terre de culture, nous l’avons vu Dakar accueille la Biennale depuis désormais 30 ans. L’art contemporain y a une place plus que confirmée. Les questions de la mémoire et de la représentation restent des problématiques récurrentes des artistes contemporains africains.
Omar Victor Diop est un artiste sénégalais, né à Dakar. Par le biais de ses photographies il crée une réelle narration de l’histoire noire. Ses autoportraits commentent et incarnent l’histoire. Justement, en 2014 sa série Diaspora met en valeur 18 personnages de la diaspora africaine, ayant réellement existé.
Elle questionne l’identité et le rôle des africains dans l’histoire en dehors des frontières de l’Afrique. De plus Diop fait référence au football sur chacun des portraits. Une manière de montrer la même dualité d’une vie passée à la représentation et au service de l’autre.
« Pedro Camejo », Omar Victor Diop, 2014
Représenter ses pairs
Le photographe Djibril Drame en collaboration avec l’artiste Modou Dieng, a créé une exposition à ciel ouvert. De la même manière que Diop, les deux sénégalais mettent en avant leurs aînés. L’expo tapisse les murs des rues de Dakar depuis le 22 octobre et ce jusqu’à la Saint-Sylvestre.
Intitulée You are beautiful the way you are, elle est née d’une envie commune de mettre à l’honneur l’art contemporain. Elle met en avant les voix noires du monde entier et s’interroge sur le fait d’être noir au 21ème siècle.
Au total c’est près de 17 artistes contemporains noirs, pas forcément africains, qui sont représentés. Parmi eux le français Joël Degbo ou bien le ghanéen Patrick Quarm.
« You are beautiful the way you are » Adrian Octavius Walker, Djibril Drame et Modou Dieng, 2020
Au Nord de l’Afrique, d’autres artistes africains et contemporains
Difficile de parler de l’Afrique sans citer le Maghreb, littéralement là où Le Soleil se Couche, les artistes ne cessent de s’élever. Cette partie occidentale du monde arabe regorge de richesses culturelles. Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie alimentent un bouillonnement artistique et culturel.
L’histoire commune de ces trois pays en particulier, tant sur le plan social qu’économique, permet l’émergence d’un style spécifique. Celui-ci se concentre grandement sur l’exil. Le questionnement de soi et de son pays. Les conflits violents du 20ème siècle ont créé des populations presque apatrides, perdues, vidées de sens.
Les artistes maghrébins sont nombreux à posséder une double nationalité, à quitter leurs terres originelles. Néanmoins, ils finissent toujours par y revenir, par le biais d’allers-retours nécessaires, vitaux. Hedi Ladjimi en parle avec une infinie sagesse. Il réalise des montages mettant en exergue la difficulté d’être et d’exister sur deux continents différents.
Un devoir de mémoire
Pour d’autres artistes, l’art devient le moyen de réaliser un devoir de mémoire. C’est le cas pour l’artiste franco-algérien Adel Abdessemed. Né à Constantine, l’artiste travaille les formes, les visuels pour exprimer la violence inouïe des conflits. Qu’ils aient eu lieu sur le territoire maghrébin ou international, sa puissance dénonciatrice est plus que vivifiante. Il fait plus que représenter la violence, il l’interroge et nous pousse dans nos propres retranchements. Jusqu’où pouvons-nous aller ?
Je ne peux que citer l’artiste lui-même. « Une œuvre d’art n’est pas faite pour renverser un état ou un gouvernement, mais pour transformer le regard. »
Vous connaissez certainement son travail pour ses frasques et son retentissement médiatique. Sa sculpture de deux mètres Coup de tête représente l’accident du 9 juillet 2006… Sa vidéo Don’t trust me a également été censurée.
Les polémiques l’entourant empêchent souvent de comprendre et d’apercevoir la force de ses actions.
La souffrance du déracinement
L’édition 2016 du Prix Marcel Duchamp récompensait Kader Attia, artiste français d’origine algérienne. Pour cause, son travail mémorable sur l’exil, le déracinement et le postcolonialisme.
Kader Attia participe à la première Biennale d’Architecture, d’Art et de Paysage des Canaries avec l’installation Holy Land en 2006. Cette œuvre est une installation de miroirs sur la plage. Ces derniers rappellent autant les voûtes de l’architecture islamique que les stèles des cimetières musulmans.
On sait que des milliers d’immigrants africains se sont rendus sur la plage de Fuerteventura sur des bateaux à moteur. En effet, l’île est devenue une porte d’entrée en Europe pour ces personnes qui rêvaient d’une vie meilleure. Malheureusement, ces plages étaient souvent leur dernière destination et les endroits où elles ont péri. La Terre Sainte est donc ici un cimetière. Kader Attia installe des centaines de miroirs dans le sable et simule la disposition des pierres tombales dans un cimetière. Ces miroirs créent un face à face avec le spectateur et invite à réfléchir sur cette tragédie.
Les miroirs reproduisent ainsi la disparition, « qui reste sans rester, qui n’est ni présente ni absente… qui est un reste sans reste ».
Holy Land, présentée pour la 1ère fois en 2007 à la Biennale des Îles Canaries.
En conclusion : Zineb Sedira, artiste de la mémoire algérienne
Artiste incontournable de sa génération, Zineb Sedira, est née en France de parents algériens.
Elle a activement contribué à enrichir le discours sur les pratiques artistiques contemporaines à travers son exploration d’histoires alternatives du colonialisme et de récits historiques contestés. Elle interroge également dans son travail les thèmes de la mémoire collective et de la transmission de ce patrimoine. Depuis le début de sa carrière, elle a développé un vocabulaire polymorphe qui emprunte tour à tour au récit autobiographique, à la fiction et au documentaire.
Elle a été choisie pour représenter la France pour la prochaine Biennale de Venise ! Elle sera donc la première artiste issue de l’immigration algérienne à représenter la France pour le Lion d’Or et j’ai envie de dire : ENFIN !
Merci infiniment , Bénédicte , pour ce tour du globe de l’Art Africain : tu nous fais voyager à travers ces artistes et ces oeuvres habilement sélectionnés ! Tu contribues à les représenter, à faire vivre leurs réalisations … Et, tu contribues à nourrir notre « culture » artistique . (Je ne connaissais qu’A.Abdessemed dont j’avais admiré l’admirable performance sur le thème de la guerre des tranchées, au MAC Lyon ). Quant à la statue « du coup de boule » qui avait disparu des champs médiatiques, a-t-elle réapparu ? C’est anecdotique !
Elle réapparaîtra lors de sa prochaine monstration publique dans une expo. La dernière en date c’était à Genève (Sculpture Garden) en juin dernier et à nouveau, elle a fait polémique.
De plus, Zidane n’apprécie pas l’exploitation de son image ce qui n’arrange pas la réception de cette statue à la gloire de la défaite et de l’anti héros ;o)
Chère Bénédicte Masseli,
Dans votre article je n’arrive pas voir en sous texte la bibliographie dont bois avez fait usage pour écrire cet article… pouvez vous s’il vous plait m’éclairer à ce sujet.
Par avance, merci
Bonjour,
Vous ne pouvez arriver à voir ce qui n’existe pas :o) La bibliographie est dense et l’article en est une synthèse. Pour aller plus loin, il y a de nombreux liens externes qui apportent des précisions. Ici, il s’agit d’un blog, pas d’un travail universitaire et je fais le choix, délibérément, de ne pas mettre de bibliographie, car elle correspond à mon travail de méthodologie et recherche. Aussi, je laisse le soin à chacun, à partir de ce que je donne ici, de procéder à ses propres recherches.
Merci pour votre compréhension.
Bravo Bénédicte, très bel article. J’attends avec impatience ton prochain article consacré à la décolonisation des arts et de la pensée.
Merci beaucoup Denis. Il sera en ligne sous peu. Je le ferai savoir sur mes réseaux afin que tu puisses le lire.