Marcel Duchamp c’est l’artiste contemporain qui fait basculer l’art dans une nouvelle ère! Il est sans conteste l’un des plus grands artistes du 20è siècle.
Je le qualifie à juste titre de postmoderne avant l’heure tant son travail est inédit, visionnaire et protéiforme.
Vous allez me dire que parler de Marcel Duchamp c’est attendu, pas très original et vous aurez raison. Cependant, devenu une sorte de lieu commun de l’art contemporain, je constate souvent, lorsque l’on me parle de Marcel Duchamp, qu’il y a beaucoup d’approximations et de malentendus.
Je vous propose donc un article complet qui présente l’étendue des enjeux plastiques et théoriques de la pratique duchampienne mais pas que… Par exemple, saviez-vous qu’il n’était pas l’auteur de l’Urinoir? 😱 Je suis presque certaine que non.
Par anticipations, cet article ne se veut pas exhaustif donc il ne parlera pas de tout. Aussi, sentez-vous totalement libres d’ajouter toutes précisions enrichissantes en commentaires.
Marcel Duchamp appartient chronologiquement à la période des avant-gardes mais nous verrons tout au long de cet article, en quoi nous pouvons, le qualifier de postmoderne avant l’heure.
Marcel Duchamp le dandy
Avant toutes choses laissez-moi vous présenter la personnalité de Marcel Duchamp qui, au regard de la bohème Montmartre à la mode à l’époque, fait déjà figure d’exception.
En effet, il est le premier artiste à introduire l’identité et l’attitude du dandy dans le champ des arts-plastiques.
À l’origine, le dandy est un personnage issu de la littérature que l’on retrouve sous la plume d’Oscar Wilde. Le dandy c’est d’abord une manière d’être au monde.
Cette attitude est décrite par Charles Baudelaire dans son texte de 1863 Le Peintre de la vie moderne:
La passion rentrée brûle, derrière l’impassibilité affichée et l’inébranlable résolution de ne pas être ému.
La sensibilité, bien qu’existante, est ainsi mise en retrait dans la relation au monde chez le dandy. Il a donc l’apparence de la froideur. Cela passe notamment par la tenue vestimentaire autant chic que stricte : costume, cravate et chemise blanche.
Par ailleurs, il y a chez le dandy, une revendication de l’humour et vous allez le voir, Marcel Duchamp n’en manque pas😀. En effet, l’humour est envisagée comme une forme créatrice et un signe d’intelligence. En ce sens, la part faite au langage est importante chez Duchamp.
Le joueur d’échecs ♟
Marcel Duchamp c’était aussi et surtout j’ai envie de dire un grand joueur d’échecs. S’il stoppera sa pratique artistique, jamais il ne cessera de jouer aux échecs qui précède d’ailleurs sa pratique plastique.
Cette pratique est d’abord une éthique. Elle nécessite une capacité d’anticipation et une apparente froideur. Ce n’est donc pas un hasard si Marcel Duchamp a préféré la posture du dandy à celle du bohème.
Marcel Duchamp, Les joueurs d’échecs, détail, 1911
Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier – 1912
Ce tableau est essentiel dans la production de Marcel Duchamp pour deux raisons :
- Tout d’abord, parce qu’il témoigne de la grande maîtrise technique de Duchamp.
- Puis parce qu’avec lui, Duchamp va être le premier artiste du 20è siècle à s’attaquer frontalement aux institutions et au marché de l’art.
Talent et maîtrise technique
Nu descendant un escalier c’est la réalisation d’une figure humaine en mouvement dans un intérieur stable. C’est pourquoi l’on peut parler d’une véritable maîtrise technique.
En effet, en 1912, on se trouve au coeur des mouvements cubistes et futuristes.
Le premier se caractérise par la déconstruction de la forme tandis que le second correspond à une déconstruction du mouvement.
Ici, Marcel Duchamp opère une synthèse parfaite entre les deux. Je dis parfaite, car les lignes sont fluides et maîtrisées. Cela signifie que non seulement il a très bien compris les enjeux plastiques des deux mouvements mais en plus, il les a digérés. Il va même plus loin que le cubisme en y ajoutant la luminosité d’un clair obscur géométrisé.
On peut donc affirmer que Marcel Duchamp témoigne ici de son grand talent.
Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier, 1912
Une critique institutionnelle
Nu descendant un escalier c’est aussi une désacralisation du nu, ici présenté sous une forme robotique. En effet, vous le voyez, sans le titre – inscrit en lettres capitales en bas à gauche du tableau – personne n’est en mesure d’identifier un nu.
En ce sens, Marcel Duchamp aimait à dire que :
Le titre est une couleur supplémentaire apportée à l’oeuvre.
Et ici, le titre en l’occurence a toute son importance. En effet, Marcel Duchamp décide de présenter le tableau à la salle cubiste du Salon des Indépendants de 1912. Crée en 1884 pour exposer les Impressionnistes laissés à l’époque à la marge des salons officiels académiques (oui les Impressionistes en 1884 sont anti/non académiques) il a une particularité.
S’il y a un comité d’admission, il n’y a en revanche pas de jury et l’objectif est d’exposer des artistes qui revendiquent une indépendance dans la création. C’est donc le cas avec Marcel Duchamp.
En 1912, les responsables des cimaises cubistes voient dans le titre une offense à leur dogme qui interdit cette année là, entre autres choses, le nu. Compliqué de se « revendiquer indépendant » face au dogmatisme. Ainsi, vont-ils demander à Duchamp de retirer son tableau.
Indigné mais silencieux, Duchamp va retirer son tableau et décider de ne plus rien montrer de ce qu’il fait.
C’est à ce moment là et dans ce contexte qu’il va basculer dans ce qu’il nommera : l’art anti rétinien.
3 stoppages étalon – 1913 : un art anti rétinien
3 Stoppages étalon marque le passage pour Marcel Duchamp de la peinture au ready-made. Il reproduit ici 3 possibilités de mesure dues au hasard.
Marcel Duchamp explique qu’il s’agit d’une :
Expérience faite en 1913 pour emprisonner et conserver des formes obtenues par le hasard, par mon hasard.
- Sur des panneaux bleus il laisse tomber depuis une hauteur de 1m 3 fils de 1m chacun.
- Ensuite, il réalise 3 règles en bois d’après le dessin formé par ces fils.
Ainsi, obtient-il son gabarit du hasard.
Par ce geste, d’ores et déjà radical pour l’époque, il s’affranchit totalement des normes matérielles et conceptuelles de son temps. En effet, en ne produisant aucun effets visuels – anti rétinien – l’objet comme le procédé surprennent.
Roue de bicyclette, 1913
Beaucoup considèrent Roue de bicyclette comme le 1er ready-made de Marcel Duchamp. On va dire que c’est Ok si ce n’est, qu’il n’y a pas 1 mais 2 objets. Donc, en soit on devrait davantage parler d’un assemblage de ready-made.
Cependant, l’idée est là donc let me introduce le READY-MADE! La raison pour laquelle Marcel Duchamp est entré à jamais dans l’histoire de l’art occidentale.
Littéralement, il s’agit d’un objet tout fait et déjà là.
Nous retenons la définition qu’en a faite André Breton complétée par Marcel Duchamp :
Objet promu au rang d’oeuvre d’art par la simple volonté de l’artiste
Oui, je sais ça vous laisse dubitatif ! C’est normal. Sur le coup je vous rassure personne n’y avait rien compris. Ce n’est que rétrospectivement, au carrefour des années 1960, au moment où l’art conceptuel émerge et s’impose que le monde prendra la mesure des enjeux théoriques du ready-made duchampien.
En effet, le ready-made, au départ anti rétinien et donc anti artistique, est en fait une machine à produire du discours sur l’art. La question visuelle ne compte plus. Ce qui compte c’est qu’il existe et c’est tout.
On parle ainsi d’un art réflexif. C’est-à-dire, un art qui pense l’art.
Le ready-made pose la question de la nature même de l’art : à quoi sert l’art, qu’est-ce qui fait art, et quand y’a-t’il art?
Mais il pose également les questions de :
- La reproduction en série ou reproductibilité technique de laquelle émerge logiquement⬇
- La fin de l’unicité de l’oeuvre d’art donc une perte de l’aura ⬇
- On assiste ainsi à une désacralisation du geste artistique et dans le même temps du statut de l’artiste.
C’est quand même pas mal pour un seul objet, non?
Fontaine ou l’Urinoir de Marcel Duchamp
L’Urinoir de Marcel Duchamp marque véritablement un avant et un après.
C’est définitivement la proposition artistique que l’on qualifie de n’importe quoi et face à laquelle on considère que Duchamp s’est littéralement foutu de nous. Keep cool car…
… En réalité, il s’agissait de prendre à leur propre piège des acteurs du monde de l’art (et des artistes) se disant libéraux, tolérants et ouverts. Je m’explique.
En 1917, Marcel Duchamp est aux États-Unis et il est un artiste reconnu. Il est alors membre du comité de direction de l’exposition organisée par la toute nouvelle Société des artistes indépendants à New-York.
Cette société n’a qu’une seule règle :
Ouvert à tous, sans prix ni jury
En somme, welcome everybody!
Et c’est précisément pour tester cette ouverture d’esprit autoproclamée que Duchamp, sous le pseudonyme de R. Mutt, présente Fontaine alias l’Urinoir au comité.
Marcel Duchamp, Fontaine ou Urinoir, 1917
The Richard Mutt Case
Sauf que, patatra, l’Urinoir choque, étonne, fait polémique et finit par être refusé par le comité auquel appartient Marcel Duchamp.
Et, pas folle la guêpe, ce dernier n’a pas oublié l’épisode de 1912.
NDLR : Nu descendant un escalier.
Ayant donc retenu les leçons de 1912 : l’hypocrisie latente des institutions artistiques, Marcel Duchamp en bon joueur d’échecs avait anticipé le coup.
Ainsi, il fait appel à son ami photographe et galeriste Alfred Stieglitz auquel il demande de prendre Fontaine en photo et de l’exposer dans sa galerie. Il publie alors cette photo dans la revue d’art The Blind Man accompagnée d’une chronique The Richard Mutt Case dans laquelle il explique toute l’histoire.
C’est l’occasion ici de préciser que Mutt en argot signifie « bâtard », inutile donc de vous faire un dessin sur les intentions de Marcel Duchamp quant au choix de l’objet et du pseudonyme.
Ainsi, avec Fontaine, Duchamp prévoit et orchestre le scandale, tout en en assurant la publicité! Mais surtout, il prend au piège les représentants du monde de l’art qui se prétendait ouvert à tout avec un message acerbe et à peine déguisé:
Je vous pisse dessus bande de bâtards
En définitive, par ce geste, Marcel Duchamp incarne le premier artiste du 20è siècle à s’attaquer frontalement aux institutions.
l’Urinoir ne serait pas, à l’origine, signé Duchamp…
Je suis quasiment certaine que vous ignorez cette partie de l’histoire! Et pourtant on la trouve très clairement mentionnée dans les correspondances de Marcel Duchamp avec sa soeur Suzanne en avril 1917, alors que les faits sont encore tout frais et pas encore transformés par l’histoire.
L’Urinoir est un coup de maître mais c’est aussi et d’abord un plagiat qui est signé Elsa von Freytag-Loringhoven.
Une de mes amies sous un pseudonyme masculin, Richard Mutt, avait envoyé une pissotière en porcelaine comme sculpture… Le comité a décidé de refuser d’exposer cette chose… J’ai donné ma démission et c’est un potin qui aura sa valeur dans New York. J’avais envie de faire une exposition spéciale des refusés aux Indépendants. Mais ce serait un pléonasme !
Donc, vous l’aurez compris, Fontaine n’est qu’un R. Mutt contresigné par Marcel Duchamp.
Qui était Elsa von Freytag-Loringhoven?
Elle est allemande. Née en 1874 et morte en 1927. C’est une originale.Elle est sculptrice et égérie du mouvement Dada de New York, on la surnomme d’ailleurs Dada Baroness. Elle vit à New-York entre 1913 et 1920 et on peut la qualifier tout à la fois d’originale, de moderne et de libre.
Son troisième mari l’abandonne en 1914 et elle se retrouve sans ressources. Cependant, elle devient une icône de Greenwich Village par son apparence aussi artistique que loufoque : corbeille à papier ou seau à charbon comme chapeau, objets trouvés ou volés décorant ses robes. Elle est souvent arrêtée pour avoir tenté de se baigner dans des fontaines publiques. Elle aime également le crâne rasé dans les salons artistiques.
C’est ainsi que les dadaïstes à New-York commencent à s’intéresser à elle. Elle jouera dans un film coréalisé par Marcel Duchamp et Man Ray intitulé La Baronne rase ses poils pubiens.
Photo de Elsa von Freytag-Loringhoven
En 1917, elle réalise avec le peintre et photographe Morton Schamberg, une sculpture intitulée God. Il s’agit d’un tuyau de plomb sur une boîte à onglet. Cette sculpture, comme l’original de l’Urinoir, a disparu.
Ce que j’en pense
À la mort d’Elsa von Freytag-Loringhoven en 1927, Marcel Duchamp va commencer à laisser associer son nom à cette œuvre, avant d’en assumer la totale paternité dans les années 1950.
J’en pense donc que nous sommes face à un bel exemple d’invisibilisation des femmes à l’époque tout comme dans l’histoire de l’art qui lui fait suite. La lettre est découverte en 1987 et jusqu’à ce que je m’intéresse de plus près à la question de la visibilité des femmes dans l’art, JAMAIS on ne m’avait dit que Fontaine ce n’était pas Duchamp.
Si cette histoire est vraie et que Marcel Duchamp s’est autorisé à s’octroyer la paternité de l’Urinoir c’est tout simplement parce que les femmes ne bénéficiaient pas des mêmes droits, politiques, sociaux et économiques donc de fait pas de la même place dans l’espace public.
En effet, Marcel Duchamp dit clairement à sa soeur avoir envie de faire une exposition spéciale des refusés aux Indépendants. Aussi, aurait-il pu se contenter du Richard Mutt Case en mentionnant Elsa von Freytag-Loringhoven.
En effet, au final l’histoire de l’objet vaut tout autant, voire plus, que l’objet et n’enlève rien à toute la pertinence ni à tout ce que l’on doit au travail global de Marcel Duchamp en terme de modernité.
… Sauf que
Cette thèse est avancée par Irene Gammel qui a écrit une monographie sur la La Baronne von Freytag-Loringhoven en 2001.
Marcel Duchamp : La Tonsure, 1921
Peut-être que cela aussi vous l’ignoriez car on trouve écrit tout le contraire mais NON, Marcel Duchamp n’appartenait ni au mouvement Dada ni au Surréalisme.
Bien sûr il avait des amis dans les deux mouvements et il a collaboré aux revues des uns et des autres d’où une certaine confusion. Cependant, il a toujours revendiqué son indépendance et sa liberté. Ce qui est très bien puisque l’oeuvre duchampienne prise dans sa totalité est inclassable au sein des avant-gardes.
En atteste Tonsure, photo de performance qu’il réalise en 1921.
Ici, Marcel Duchamp se rase l’arrière du crâne en forme d’étoile. Par cet acte, il s’impose comme précurseur de la performance avant l’heure. C’est aussi un moyens d’affirmer sa posture à la fois esthétique et artistique.
En effet, il légende cette image par cette phrase :
Les toiles c’est laid. L’étoile aussi.
Ici, avec la première proposition, il revendique son esthétique anti-rétinienne tandis que dans la deuxième, il affirme son indépendance en adressant avec l’humour qui le caractérise un message à André Breton. En effet, l’Étoile Scellée était une galerie surréaliste connue à Paris.
Marcel Duchamp, la Tonsure, 1921, ©Man Ray
Mona Lisa a chaud au cul🍑💥
On peut considérer ce travail de Marcel Duchamp comme étant son premier ready-made authentique. En effet, Roue de bicyclette étant l’assemblage de deux objets manufacturés serait davantage à envisager comme une tentative de ready-made. L’Urinoir en tant qu’objet, vous l’avez désormais compris, n’était pas de lui.
Ici, il va reprendre toutes les caractéristiques de son esthétique. Tout d’abord, la carte postale reproduisant Mona Lisa est un objet manufacturé déjà là donc un ready-made.
Cette oeuvre est une carte postale de la Joconde, chef d’oeuvre absolu parmi les chefs d’oeuvres, sur laquelle Marcel Duchamp à ajouter une moustache, un bouc et 5 lettres en légende : L.H.O.O.Q, comprenez « elle a chaud au cul »!
D’autre part, en la travestissant, il désacralise à la fois le geste de l’auteur du tableau et son sujet. Autrement dit, on se retrouve face à une désacralisation du chef d’oeuvre en même temps que du génie artistique qui lui est associé.
Mais, et c’est là à mon sens, au-delà de l’humour caustique cher à Marcel Duchamp, le point le point le plus intéressant de cette carte postale à priori anodine.
Outre, le fait que Mona Lisa soit inscrit dans le top 10 des chefs d’oeuvres de l’art occidental, c’est également une toile énigmatique qui a fait couler beaucoup d’encre. Une question persiste en effet:
Qui est le sujet du tableau?
Mais surtout…
Est-ce un homme ou une femme?
La Joconde pose donc la question du genre et ce, en plein milieu du 16è siècle. C’est cela que va retenir Marcel Duchamp lorsqu’il travestit Mona Lisa.
La Joconde : Homme ou femme?
En fait, Léonard de Vinci aurait peint deux visages, l’un féminin et l’autre masculin, pour réaliser La Joconde.
En passant le tableau sous infrarouge en 2016, l’historien de l’art Silviano Vinceti découvre deux visages : l’un masculin et l’autre féminin.
Les deux modèles ont également été identifiés. Il s’agit de Lisa Gherardini, dite Mona Lisa, pour le visage féminin, et Giacomo Caprotti, aussi appelé Salai, son élève et selon certaines hypothèses, son amant.
Ainsi, la Joconde serait serait ou en tout cas pourrait être le fruit d’une réflexion sur l’androgynie. Lors d’une conférence de presse organisée sur le sujet à Florence, l’historien, estimait même que pour Leonardo de Vinci :
La personne parfaite est un homme et une femme réunis dans un même corps.
Ainsi, même si l’on souhaite remettre en cause le bien fondé de cette analyse, Marcel Duchamp avait déjà retenu cette approche en 1919. Aussi ira-t’il plus loin encore en performant lui-même le genre dès 1921.
Rrose Sélavy ou l’alter ego féminin de Marcel Duchamp
En effet, Marcel Duchamp avait également un alter ego féminin : Rrose Sélavy, comprenez Eros c’est la vie ou l’amour c’est la vie❤️
En faisant le choix du travestissement, Marcel Duchamp performe le genre au sens de Judith Butler. C’est-à-dire qu’en mettant en scène le genre féminin et masculin il l’a déconstruit.
Il amorce ainsi une réflexion sur l’identité de genre et ce près, 30 ans avant la publication du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir publié en 1949.
Cela montre que ces questions étaient déjà présentes au sein des milieux intellectuels et artistiques. Marcel Duchamp fait donc figure de précurseur dans le domaine et témoigne à nouveau dans sa totale postmodernité.
D’autres artistes tel.le.s que Claude Cahun et Marcel Moore avaient elleux aussi, à la même époque, amorcé.e.s cette réflexion à travers leurs photographies.
Marcel Duchamp, Rrose Sélavy, à partir de 1921
Marcel Duchamp et la publicité : un homme de son temps
Pour terminer cet article, je vais vous parler des rapports qu’entretenait Marcel Duchamp avec la publicité et la mode.
Il regardait des près les revues de mode de son époque, plus particulièrement Vogue, et ce, afin de saisir l’air de son temps et d’en décrypter les codes et de les détourner.
C’est dans cette perspective, qu’il réalise son eau de toilette : Belle Haleine Eau de Voilette en 1921.
Marcel Duchamp, Belle Haleine Eau de Voilette, 1921
Le visage androgyne de Rrose Sélavy et ses initiales en miroir collées sur l’étiquette du parfum Belle Haleine rappelle en effet que Marcel Duchamp regardait de près les publicités et les magazines de mode des années 1920.
Clin d’oeil, critique ou appropriation de ce mode de marketing pour Marcel Duchamp qui a toujours eu un sens acerbe de l’humour et de la critique?
À vous d’en juger!
En 1912, le parfumeur Henri Rigaud, lance à grand renfort de publicité le parfum, Un air embaumé, notamment avec des encarts presse dans Femina et Vogue. La marque a pour « slogan »:
Un air embaumé, rue de la paix.
Il s’agit d’un flacon sablé en cristal, taillé en forme de montre. En 1921, Marcel Duchamp crée une étiquette de parfum – Belle Haleine, Eau de Voilette – qu’il colle sur un flacon d’Un air embaumé. Signée RS en miroir et Rrose Sélavy, NY, Paris, un portrait de Rrose Sélavy placé dans un oculus au dessus du nom de parfum, on voit très bien que Marcel Duchamp s’est saisit des codes de la communication visuelle de son époque.
On sait qu’il adorait par ailleurs les contrepèteries et on se dit qu’il n’a pas pu passer à côté de celle imprimée sur la publicité Rigaud:
Un air embaumé rue de la paix = un air embaumé pue de la raie… Belle haleine!
Marcel Duchamp et la mode
D’autre part, Paul Poiret, célèbre couturier publiait régulièrement dans Vogue, cette fois-ci en pleine page présentant sa marque. On trouve ses initiales PP dessinées en miroir tout comme le fait Marcel Duchamp avec RS sur le flacon de Belle Haleine.
Enfin et pour finir, dans pratiquement tous les numéros de Vogue étaient présentées des célébrités aristocratiques portant la mode des couturiers des années 1920.
Elles n’avaient bien souvent rien des mannequins des défilés actuels, voire, comme Madame la Marquise de San Carlos, un air masculin que Marcel Duchamp avait forcément repéré lorsque l’on observe bien Rrose Sélavy!
Publicité pour le couturier Paul Poiret dans Vogue, 1928
Georges Hoyningen-Huene, Mme la Marquise de Sans Carlos, Vogue, 1928
Pour conclure
Ainsi, parce qu’à travers le ready-made, la pratique de la performance, du détournement, de la critique institutionnelle, mais également par la revendication de l’humour et la mise en question du genre Marcel Duchamp préfigure à lui seul et avec 30 ans d’avance tout l’art des années 1970.
C’est pourquoi il est un précurseur, un postmoderne avant l’heure et définitivement l’un des plus importants artistes de la première moitié du 20è siècle.