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Avant toute chose, il est important de définir les termes du sujet : qu’est ce que le street art? Quelles sont ses origines, son évolution et surtout ses mutations?

Dans cet article · qui est le reflet d’une sélection personnelle · il s’agira de circonscrire le sujet via des choix. En effet, le sujet est tellement vaste que tout ne pourra pas être dit.

Nous allons donc procéder par définition, chronologiquement et géographiquement : par les États-Unis qui sont le lieu d’émergence du graffiti.

Le street art : une définition

Avant de parler de street art il faut commencer par parler de graffiti car c’est par lui que tout commence.

On appelle graffiti une inscription ou un dessin tracé, peint ou gravé sur un support qui n’est normalement pas prévu à cet effet. Le mot italien « graffiti » vient du latin « graphium », éraflure qui tire son étymologie du grec « graphein » qui signifie indifféremment écrire, dessiner ou peindre.

Même s’il est d’usage de situer l’apparition du street art sous sa forme artistique dans les années 1960, il est important de considérer que le graffiti existe depuis toujours des grottes pariétales de Chauvet, aux hiéroglyphes en passant par l’Antiquité. On sait que le Colisée entre autres, est marqué de nombreuses traces laissées par des inconnus.

Dans son processus de création, le graffiti apparaît donc avant tout comme un phénomène anthropologique reposant sur le fait de laisser sa trace sur un support.

les catalogues de Brassaï

C’est le photographe Brassaï, qui le premier, dans les années 1930, s’est intéressé à ce type d’inscriptions. En effet, proche des surréalistes, Brassaï aimait se promener dans les rues de Paris, comme le montrent ses photographies de nuit.

Les inscriptions et dessins sur les murs l’ont interpellé très tôt.  Il les a enregistrés de façon systématique avec son appareil pour en recueillir une sorte de catalogue, témoignage sociologique mais surtout recueil poétique d’un art populaire.

La notion d’art populaire est ici importante à noter et à retenir car le street art est un art populaire. 

 

Street art Brassaï

Brassaï, Le Roi Soleil de la série « Graffiti » (Images primitives), 1945-1955.

Quand commence la culture street art? 

La galeriste Magda Danysz, dans son Anthologie du street art publiée en 2015, date de manière anecdotique le premier graffiti à 1942 lorsqu’un ouvrier américain nommé Kilroy écrit « Kilroy was here » sur les pièces qui déroulent le long de sa chaine de production.

Du coup, les bombes étaient larguées avec ce slogan ironique et vengeur qui a valu à Kilroy une réputation de patriote chez les soldats. En réponse, ces derniers écrivaient à leur tour « Kilroy was here » sur les murs qu’ils croisaient.

Ainsi, selon l’auteure, cette histoire pose les bases de la culture du graffiti :

  • Le goût du message qui donne du sens à une œuvre
  • La viralité qui permet d’être vu par le plus grand nombre

La spray

Néanmoins, c’est l’apparition de la bombe aérosol, dans les années 1960, qui procure à la jeunesse désabusée des années 1970 et 1980 un outil particulièrement efficace pour laisser des inscriptions sur les murs des rues ordinaires, considérées jusque-là comme des non-lieux d’art.

C’est parce que c’est un art de la rue que le street porte en lui une essence populaire.

C’est cette innovation technologique, la spray, qui va donner son élan au mouvement que l’on a appelé graffiti, dominé par la culture hip-hop en Amérique et punk rock en Europe.

Cornbread ou le parrain du graffiti 

Street art Cornbread

C’est à Philadelphie et non à New-York qu’émerge le graffiti moderne sous les bombes de Cornbread surnommé « le parrain du graffiti ». Pour attirer l’attention d’une jeune femme dont il est amoureux, il se met à poser sa signature partout dans la ville au point d’être repéré par la presse locale, qui non loin de le blâmer, lui lance des défis : poser son nom dans les endroits les plus impossibles qui soient. Cette caractéristique reste encore aujourd’hui l’un des fondements du graffiti et du street art.

Cette médiatisation va déclencher des vocations dans toute la ville et populariser une méthode vandale qui prône autant la dégradation que l’interdit.

Lorsqu’en 1968 les transports ferroviaires s’intensifient avec la construction en masse qui augmentent le nombre de train entre New-York et Philadelphie et toujours dans cette recherche de viralité, les wagons des trains deviennent les supports et les messagers autant d’une rivalité que d’une émulation entre les deux villes.

street art sur train

Vue du métro New-yorkais, années 1970

Street art · société en mutation

Il est important comme toujours de revenir sur le contexte socio historique de l’apparition massive du street art.

On assiste dans les années 1960 à une profonde mutation de la société. Outre le développement du métro, il y a l’architecture des villes qui se modifie. En effet, le béton devient le matériau standard de construction et les murs ternes envahissent le paysage urbain.

Le graffiti se pose donc comme une réponse à ces constructions strictement utilitaires et devient un moyen de réappropriation d’un bâtit considéré comme agressif et envahissant.

Désintéressés et désinvoltes, les premiers adeptes du graffiti à la bombe aérosol inventent une culture à part entière. La performance est liée à une forme de transgression et de provocation dans l’espace public, et la finesse de leur calligraphie est poussée à l’extrême, parfois jusqu’au cryptage.

Les objectifs du street art

Le but de ces artistes du street art est de plaire à leur groupe de référence, et de déplaire au corps social qu’ils entendent provoquer. On est ici dans une logique tribale qui les conduit à l’appropriation de l’espace public, sorte de réponse à l’urbanisation galopante, et à une société en mutation rapide dont ils se sentent exclus.

Ces premières générations, à quelques exceptions près, n’entendent pas faire commerce de leur art, strictement lié à la contestation sociale et la performance tant artistique que physique. Ainsi les origines du street art sont non lucratives. C’est important de retenir que les motivations ne sont pas économiques.

Ils interviennent sans autorisation, pour la « beauté du geste » et sans souci de reconnaissance sociale bien au contraire.

Il s’agit d’un style de vie pour une génération désintéressée qui cherche à se réapproprier l’espace public et à transfigurer le banal.

La pratique de cette première génération graffiti est rapidement qualifiée par le public et les autorités de « vandalisme », pour ses dégradations et sa dévalorisation du bien public.

Les caractéristiques du street art

Les règles esthétiques de base du graffiti et du street art en devenir sont à la fois claires et simples :

  • Il y a d’abord comme dans toute forme plastique ou visuelle l’idée d’un style qui doit être unique. La différence réside dans le fait que les copistes « à la manière de » ne sont pas tolérés, voire chassés et c’est ce qui permet aujourd’hui, presque cinquante après de voir des artistes qui innovent encore.
  • L’autre impératif c’est l’emplacement, la rue, le mur, sa matérialité et en définitive l’endroit précis où le graffiti sera vu ou donnera du sens à l’ensemble.

Il s’agit vraiment d’un art contextuel, qui se comprend et s’apprécie aussi et surtout au sein d’un environnement. 

Il se dit même que les spécialistes de la publicité urbaine, JC Decaux, repéraient les emplacements des graffitis et lorsqu’ils étaient effacés, ils venaient négocier le mur pour y poser un panneau.

Ainsi, ceci atteste que les graffeurs sont dotés d’un œil d’expert, d’artiste, pour trouver des endroits visibles.

Keith Haring & Jean-Michel Basquiat 

Ce sont Keith Haring et Jean-Michel Basquiat qui les premiers ont introduit le graffiti sur le marché de l’art. Même s’ils ont pris le train en marche ils étaient déjà connus du grand public et sont en quelque sorte devenus par leur médiatisation les portes drapeaux du graffiti.

SAMO© est un collectif d’artistes fondé par Basquiat et ses amis Al Diaz et Shannon Dawson en 1976. Tous trois dispersent aux quatre coins de ces quartiers, des phrases énigmatiques tantôt philosophiques, tantôt politiques qui interrogent le passant.

C’est l’affichage d’un désenchantement. D’ailleurs c’est bien ce que signifie « SAMO© », l’argot utilisé dans les quartiers populaires, abréviation de « Same Old Shit ». La même vieille merde !

La société avance mais pour le reste rien ne change !

street art Keith Haring Basquiat street art

à gauche Keith Haring

à droite JM Basquiat

Le soutien d’Andy Warhol

Il ne faut pas non plus oublier Andy Warhol, mandarin officiel de Basquiat, a été un réel haut parleur mondial pour le graffiti. Ce dernier, figure papale du pop art était à l’origine designer graphique et portait donc un intérêt particulier au graffiti. D’autre part, et contrairement à ce qui est communément admis, le pop art de Warhol n’est pas une apologie de la société de consommation mais tout l’inverse.

Il est un artiste issu de la vague d’immigration des années 1920. Sa mère n’apprend jamais l’anglais et parle un mélange de patois et d’hongrois. Il grandit dans les bas-fonds de Pittsburgh en Pennsylvanie. Son père était mineur.

Warhol vient donc de la rue, il la connaît bien et y reste attaché malgré sa starification. En ce sens, le graffiti en s’inscrivant dans une notion de contreculture séduit nécessairement Warhol qui décide de lui donner de la visibilité.

Sans oublier que de 1964 à 1984, la Factory était « the place to be » tant pour les artistes que pour le « showbiz ». On entrait dans la Factory anonyme et en ressortait super star. Le monde entier regardait ce qu’il se passait dans ce lieu et a servis entre autre de vitrine aux artistes du graffiti et du street art.

Le street art: qu’en est-il en France?

Magda Danysz date l’arrivée du graffiti de manière très précise entre 1983 et 1985. En effet, elle explique que ces dates correspondent aux voyages estivaux des étudiants français pour New-York.

Ils y découvrent les rues et prennent de plein fouet le graffiti alors en plein âge d’or. Ils ramènent ces souvenirs à Paris, commencent à les reproduire et la fièvre du graffiti se propage alors dans Paris.

Elle mentionne également que le graffiti arrive à Paris sous l’impulsion de Bando, un Français rentré de New-York fasciné par le graffiti. Il sympathise alors avec un américain venu s’installer à Paris et aujourd’hui mondialement connu JonOne puis plus tard avec un anglais, Mode 2.

Brando prône le lettrage quand JonOne et Mode 2 privilégient le graphisme.  Cette guerre des styles va irriguer toute la génération des graffeurs français des années 1980/1990 et fera progresser leur pratique à grande vitesse.

Bando, Paris, années 1980-1990, surnommé « l’ennemi public n°1 de la RATP »

Les mutations du graffiti en street art

Cependant, à Paris cette pratique du graffiti et plus largement du street art préexiste sous d’autres formes dans l’hexagone.

Avant d’aller plus en détail, notons que :

le street art est le fruit d’une mutation du graffiti et une pratique protéiforme qui va se réapproprier les codes du graffiti tout en s’en émancipant.

Collage, installations, trompe l’œil, anamorphose : on va alors dépasser la signature et l’incrustation dans un mur. Toutes ces pratiques confondues bien que distinctes, se regroupent sous le nom d’« art urbain ».

C’est sur le street art et ses formes actuelles ainsi que sur ses mutations depuis le début du 20è siècle que nous allons nous pencher désormais tous pays confondus.

Il est important de noter que le street art, sous des apparences parfois ludiques et esthétisantes est dans son essence et tout comme le graffiti est un art de l’engagement et de la contestation.

D’ailleurs, le street art en bien des points n’est plus ce qu’il était au départ. Hugo Vitrani dénonce qu’ :

On a jamais autant parlé du street art, exposé du street art mais en le comprenant si mal. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’expositions, de galeries qui parlent du street art dans le mauvais sens du mot : pop, démocratique, décoratif et faussement engagé.

C’est le propre de toutes récupérations. Lorsque quelque chose de subversif est récupéré par l’industrie culturelle et qu’elle devient une norme et bien toute sa charge subversive est dissoute. 

Les précurseurs du street art en France

En France, les précurseurs du street art s’affirment d’ores et déjà dans cette dimension de l’engagement. En effet, outre Brassaï qui valorise le graffiti les affichistes Jacques Villeglé et Raymond Hains se mettent dans les années 1950 à composer des tableaux à partir d’affiches publicitaires qu’ils décollaient dans les rues ou dans le métro. Ils s’en servaient ensuite pour détourner l’actualité politique ou les slogans publicitaires.

C’est le cas par exemple de ce collage de Jacques Villeglé.

street art

Jacques Villeglé, 14 juillet 1960, 1960

Il s’agit ici d’un tableau réalisé à partir de plusieurs fragments d’affiches prélevées dans les rues et le métro parisien. C’est pour cela que l’on peut parler ici de street art.

C’est une représentation de la fête nationale française célébrée le 14 juillet en commémoration de la prise de la Bastille incarnation de la Révolution Française. On célèbre donc en même l’instauration de la République et avec elle la devise nationale : liberté, égalité, fraternité.

On retrouve ainsi certains symboles de la France dont les couleurs bleu, blanc et rouge présentes sur les lumignons qui rappellent les éclairages des guinguettes.

Mais parallèlement à cela on distingue un homme en train de hurler. Sur sa droite on devine un gros titre : pour la paix en Algérie.

Aussi, en mettant face à face cet homme hurlant la paix en Algérie et les symboles de la République, l’artiste montre autant son engagement que la contradiction qui existe entre la liberté, l’égalité, la fraternité et la colonisation.

Ernest Pignon Ernest : père du street art en France

Autre artiste incontournable du street art français, Ernest Pignon Ernest. Je pense qu’il fait partie de mes artistes préférés.

Fin des années 1960 il s’installe à 24 ans dans un petit village du Vaucluse pour faire de la peinture son métier. Mais il ne tarde pas à découvrir qu’à moins de 30 km la force de frappe atomique a établit son QG et que les champs de lavande cachent des fusées plus puissantes que la bombe qui a détruit Hiroshima.

NB : le Plateau d’Albion accueille de 1971 à 1996 le site de lancement des missiles atomiques.

A partir de là, il va adopter une posture de refus et de contestation. Il abandonne ses pinceaux, consulte les archives et tombe sur une photo prise au Japon : celle d’un mur avec l’ombre portée d’un homme désintégré par l’éclair atomique.

De l’empreinte laissée par le corps calciné, il découpe un pochoir qu’il imprime un peu partout sur le plateau d’Albion, sur les rochers et sur les maisons. Ainsi, est-il le précurseur de la technique du pochoir en extérieur et en ce sens nombreux sont les artistes qui lui doivent quelque chose.

Par ce processus, il donne à voir ce qui n’est plus visible et crée un face à face avec le spectateur.

L’œuvre d’Ernest Pignon Ernest n’est pas tant le pochoir mais l’espace, la lumière et la texture du mur. Ils sont utilisés comme un matériau véhiculant un message politique, poétique ou social. Il conçoit l’espace comme une galerie à ciel ouvert et c’est lui qui popularise le pochoir et la technique du collage en extérieur.

Hommage à Mahmoud Darwich 

Mieux qu’un long discours, EPE colle en 2009 le portrait préalablement dessiné de l’immense poète palestinien Mahmoud Darwich dans les rues de Ramallah, aux checkpoints et sur le mur de séparation entre Israël et Palestine.

Il colle également le poète dans le kibutz de Ahihud, près de Saint Jean d’Acre, construit sur les ruines du village de naissance du poète, Al’Birwah, et dont le portrait git maintenant sur un rocher plat. Pour EPE il s’agit ici de rendre la dépouille du poète au lieu où il voulait être inhumé. En effet, Darwich a milité toute sa vie pour une Palestine libre, combat pour lequel il a été contraint à 30 ans d’exil et est décédé aux Etats-Unis.

Au-delà d’un positionnement politique fort mais silencieux, l’artiste réhabilite la mémoire du poète conformément à son engagement artistique :

Je ne cherche pas à représenter mais à rendre présent

déclare t’il. Et c’est bien de cela dont il s’agit : rendre présent par le collage l’absence.

street art pochoir street art pochoir

Ernest Pignon Ernest, Mahmoud Darwish, Palestine, 2009

JR et Face2Face

Artiste plus jeune né en 1983 et grand admirateur d’EPE dont on retrouve le processus dans ses collages : JR.

Photographe et artiste du street art, il est pour ce travail, allé à la rencontre des Palestiniens et des Israéliens pour son projet Face2Face.

Il a rencontré des hommes et des femmes, des deux côtés, exerçant le même métier. Ces derniers ont accepté de pleurer, de rire, de crier ou de grimacer devant son objectif. Les portraits ont été collés face à face, dans des formats gigantesques des deux côtés du mur de séparation et dans plusieurs villes.

Objectif clair pour JR :

Réunir ce qui est épars

Il s’agit de montrer ce qui unis plutôt que ce qui divise sur le lieu même, le symbole architectural de cette division.

street art JR

JR, Face2Face, 2005

et les femmes dans tout ça?

Je vous vois venir ! Vous allez me dire que je ne parle pas des femmes dans cet article sur le street art et vous aurez raison.

Je vous l’avais annoncé en introduction : je ne peux pas tout dire.

Je vais vous présenter une seule femme ici que j’adore et qui elle aussi utilise la technique du pochoir pour s’exprimer. Il s’agit d’Emmanuelle Petite Poissone. J’ai découvert son travail décalé sur les bancs grenoblois il y a bientôt 10 ans. Elle utilise le langage qu’elle détourne avec humour et intelligence pour faire passer des messages forts et poétiques.

Pour le reste et avant que certain.e.s s’enflamment, j’ai consacré un article complet pour un blog londonien sur le street art au féminin dans la ville de Londres que vous pouvez découvrir juste ici⬇

Le street art au féminin
street art street art

Petite poissone, Un macdo à Grenoble & une boîte aux lettres Place d’Italie à Paris

Je vous invite également à visionner ce post Instagram pour une autre sélection de street artistes femmes.

Banksy la star anonyme du street art 

Banksy quant à lui est un artiste anglais entouré de mystère puisque malgré des rumeurs on ne connaît toujours pas sa réelle identité.

Il utilise la technique lui aussi du pochoir pour dénoncer et témoigner de son engagement aussi bien social que politique à l’image de la petite Vietnamienne brûlée au napalm qui tient par la main Mickey Mouse et Ronald McDonald.

Objectif de l’artiste : montrer l’absurdité du mécanisme sociétal et déconstruire ses signes et ses symboles forts.

Flanqué de désinvolture et d’un fort besoin d’ébranler la masse, il ne limite pas son travail aux diverses réalisations par pochoirs et peinture.

S’il a un message à faire passer, il le fera par tous les moyens possibles ! Ainsi, il a imaginé une multitude de stratégies afin de faire passer ses divers messages et ce, en toute illégalité.

Banksy street art

Banksy, Napalm, 1994

Poor Paris Hilton

À titre d’exemple, en 2006, il remplace 500 copies du disque compact de Paris Hilton – l’incarnation de la culture du rien dans les années 2000 – dans quelques dizaines de magasins de musique Londoniens. Dans la version qu’il élabore, la musique est remixée par Danger Mouse et les titres sont changés en :

Pourquoi suis-je célèbre ? À quoi suis-je utile ? Qu’ais-je fais ?

Puis la pochette est trafiquée. En effet, on y retrouve une Paris Hilton seins nus en couverture. Je rappelle qu’elle s’est faite connaître en commercialisant une sextape.

Mieux encore, à l’intérieur du boîtier, on y retrouve la jeune femme avec une tête de chien plutôt que sa tête habituelle et on la voit sortir d’une voiture luxueuse et enjamber un groupe de sans abris. L’histoire raconte que quelques copies furent vendues tout de même à l’époque mais qu’aucune d’entre elles n’ait été retournée. On peut aujourd’hui s’en procurer un exemplaire par le biais de site Internet E-Bay, pour une somme frôlant les £1000.

Dismaland

Autre projet d’envergure, le parc d’attraction dystopique Dismaland réalisé dans la banlieue de Bristol. Dismaland est un mot-valise composé de dismal (lugubre) et land. Il est présenté comme une « version sinistre de Disneyland ». Banksy le décrit comme:

un parc à thème familial inadapté aux enfants

Ce projet a été déguisé en plateau de tournage lors de sa construction afin de conserver le plus grand secret. Il est construit sur un lieu anciennement connu sous le nom de « Tropicana » qui offrait une piscine en plein air.

L’accès au parc se faisait en journée et le personnel d’accueil y avait pour mission d’être froid et distant. Banksy détourne les attractions connues du grand public comme la pêche aux canards ou le carrousel.

En effet, les canards sont gluants de mazout et le manège de chevaux de bois est devenu la proie d’un serial killer, qui massacre ses poulains pour en faire des lasagnes. On trouve dans le même état d’esprit un jeu permettant de piloter sur un plan d’eau des petits bateaux remplis à ras bord de migrants qu’on ne réussit jamais à faire débarquer…

parc attraction street art

Banksy, Dismaland, 2015

street art street art
Retrouvez d'autres analyses sur Banksy dans mon article sur la frontière dans l'art contemporain

Zevs et Liu Bolin

Toujours dans la même veine street art, Zevs, surnommé le liquidateur de marques depuis 2000.

Ou encore Liu Bolin maître du trompe l’oeil qui silencieusement nous rappelle que nous sommes littéralement engloutis, pire même, que nous disparaissons derrières les objets que nous consommons.

On trouve également des artistes passés maîtres dans l’art de l’anamorphose. Leurs visuels, discrets ou monumentaux remettent en cause les points de vue. Ils nous incitent à voir au-delà de la surface, élargir notre champ de vision et aiguiser toujours plus notre sens critique.

ZEVS street art

Zevs, Liquidated logo, depuis 2006

Lui bolin et le street art

Liu Bolin, Hiding in the City 110, Puffed Food, 2013

La perception selon El’Seed

L’artiste franco tunisien El Seed est justement un praticien de l’anamorphose. Il mêle influences occidentales et orientales pour réaliser des œuvres monumentales que l’on qualifie de «calligraffiti».

J’ai envie de vous présenter ici un travail coup de coeur que l’artiste qualifie comme la plus belle expérience humaine de sa vie.

Perception est une anamorphose · une déformation réversible d’une image à l’aide d’un système optique.

Pour ce travail, il a peint une cinquantaine d’immeubles du quartier Manshiyat Naser hébergeant la minorité Copte du Caire (les chrétiens) et c’est uniquement depuis le sommet de la montagne Mokattam surplombant la capitale égyptienne que l’on peut apprécier l’œuvre dans son intégralité.

La montagne Mokattam est un endroit très important pour les Coptes du Caire. Ils y ont construit le monastère St Simon, le fief de la communauté.

Une oeuvre et son contexte

Ce travail consiste à raconter l’histoire des Coptes du Caire, minorité chrétienne qui représente 10% de la population égyptienne. Ces derniers vivent de l’élevage des porcs.

En 2009, dans le cadre de la grippe H1N1, le gouvernement d’Hosni Moubarak décrète l’abattage de tous les porcs et prive ainsi les chrétiens, seuls consommateurs de l’animal, de leurs ressources.

L’OMS avait pourtant rappelé l’inutilité de la mesure. En effet, aucun cas de grippe A n’a été recensé jusqu’ici en Egypte. Et surtout, le virus H1N1 n’est pas transmis par les porcs, mais par les humains. L’abattage n’est donc d’aucune utilité contre la pandémie.

Depuis, pour survivre, ils ramassent les ordures de la ville et se font appeler par le reste de la population « le peuple des poubelles ».

Le texte calligraphié signifie en arabe:

Quiconque voulant voir clairement la lumière du soleil doit d’abord se frotter les yeux

C’est El’Seed qui en parle le mieux et je vous invite sincèrement à visionner cette vidéo qui vient témoigner de la force unificatrice de l’art. Un exemple parfait ici de ce que Nicolas Bourriaud appelle une esthétique relationnelle.

Autrement dit, pour voir le vrai visage de quelqu’un, pour tout simplement comprendre l’autre et plus largement le monde, il faut changer de point de vue. Il faut savoir prendre de la hauteur et de la distance.

Le street art au service la nature : ESCIF et le Breath Projet 

ESCIF est un street artiste espagnol et pour le Breath Projectil réalise un dessin organique composé de 5.000 arbres. Ces derniers sont plantés sur le Mont Olivella dans le golf de Sapri au sud de l’Italie.

Ce mont était victime d’une instabilité hydrogéologique causée par les vagues successives de déforestation du Mont au début du 18è siècle.

Aussi, sous la forme d’une batterie qui se recharge, ESCIF plante début 2017 2.500 chênes verts (on se rappelle ici de Joseph Beuys en 1982) et 500 érables. Il donne ainsi un nouveau souffle à cette terre abîmée.

En 2019 ce sont 2.000 érables supplémentaires qui sont plantés pour terminer de recharger concrètement la batterie.

BREATH signifie le souffle :

Le souffle suit les rythmes du temps et de la Terre. Toujours en se renouvelant et en se régénérant, il oppose l’accélération hystérique de la civilisation technologique à la célébration d’une nature répétant son cycle sans fin. Le souffle s’accompagne d’un message mondial fort : nos ressources naturelles s’épuisent, nous devons protéger notre planète. Et, comme avec une batterie, la Terre a besoin d’être rechargée pour fonctionner correctement 

Le street art s’invite à la Villa Médicis

Lek et Sowat sont pensionnaires de la Villa Médicis en 2015-2016 attestant de la reconnaissance du street art comme art officiel.

Pour le Lasco Project (entre 2012 et 2014) porté par le commissaire d’exposition Hugo Vitrani, Lek et Sowat ont exploré l’envers du décor du Palais de Tokyo, bâtiment consacré à l’art contemporain.

Le titre rappelle ici les origines anthropologiques du street art et du graffiti évoqué en introduction: celles des grottes pariétales dans lesquelles les premiers hommes nous ont laissé des traces de leur passage.

Le duo a profité de ses explorations pour laisser des traces de leur passage sous forme de graffitis ou d’installations éphémères.

Ces interventions ont mis en avant la tension qui continue d’exister entre : art officiel et art clandestin, l’institution et la rue, le visible et l’invisible.

street art

Lake et Sowat, Lasco Project, 2012/2014

conclusion

C’est sur une citation d’Hugo Vitrani que je vais vous laisser :

L’art de rue est très récupéré aujourd’hui car dans sa version prémâchée, il convient au plus grand nombre. Toutes les capitales veulent devenir LA capitale du street art. Car le street art fait jeune, c’est à la mode, il plaît aux touristes. Les politiques des villes l’emploient pour les rajeunir et véhiculer un message démocratique.

Mais ne vous y trompez pas! Ce n’est pas parce que le street art est à la mode et qu’il a fait sa grande entrée dans les salles de ventes. Ou encore qu’il s’affiche dans les salons petits bourgeois et les halls d’entrées d’entreprises étiquetées arty sexy qu’il a perdu son essence.

Le street art est et restera un art populaire, contextuel, engagé et pas toujours légal. 

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