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Aujourd’hui, je vous parle de la compagnie Adrien M et Claire B. J’ai consacré un article aux couples célèbres de l’art contemporain en me contentant de les citer furtivement en conclusion.

C’est parce qu’ils sont MON duo d’artistes actuels préféré, et ce à bien des égards que je vais essayer de vous présenter.

J’ai découvert l’univers merveilleux de cette compagnie à la 5ème édition du Mirage Festival à Lyon en 2017.

Dire que j’aime leur travail serait un euphémisme ! Pour moi, la compagnie Adrien M et Claire B c’est une claque esthétique. Depuis que j’ai découvert leur univers et leurs travaux, j’aime tout.

Je crois d’ailleurs que si j’aime autant leur travail c’est parce que nous partageons ensemble quelque chose d’essentiel. En effet, limaginaire se trouve au cœur de nos recherches et plus largement de nos vies.

Aller ! Suivez-moi à la rencontre de ce duo qui fait définitivement du bien.

Le numérique au service de l’émotion et de l’imaginaire

Ils s’adressent et touchent autant mon esprit, mon corps que mon cœur.

Il n’y a pas un seul projet non qualitatif, ça monte en puissance d’années en années et je n’ai pas eu d’expériences esthétiques plus forte qu’avec leurs propositions depuis TRÈS longtemps.

En s’autorisant une création sans cesse au bord des cadres de l’expérience, au sens où l’entend Erving Goffman, l’art, notamment dans ses expressions contemporaines, fabrique des micro-utopies dans l’entre-deux du réel et de l’imaginaire et, ce faisant, offre son apport aux mouvements de transformation et d’émancipation. Théâtre, cinéma, danse, peinture, performance ; le processus créatif est lui-même nourri par l’« é-motion » et fonde à son tour ce qui nous « déplace ».

Je place le cadre théorique de leur travail dans la lignée de la philosophie de Gaston Bachelard et l’anthropologie de Gilbert Durand. C’est-à-dire, dans la lignée des études sur l’imaginaire.

L’imaginaire selon Gaston Bachelard et Gilbert Durand

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble important de circonscrire le champ théorique qui accompagne le travail d’Adrien M et Claire B.

Même si leur travail parle à tous et est tout public – ce qui est une force – il se compose également de récits plus complexes qui constituent aussi la richesse et la profondeur de leurs travaux.

Ces derniers, avant de les décrire, méritent donc qu’on les inscrive dans un champ élargit de la pensée.

Gaston Bachelard « le philosophe de la rêverie »

Gaston Bachelard fait partie de mes penseurs préférés. Né en 1884, il est déterminant en ce qu’il interroge entre autres chose les rapports entre l’imaginaire et la rationalité.

« Un être privé de la fonction de l’irréel est un névrosé aussi bien que l’être privé de la fonction du réel. »

Cette phrase fait partie de celles qui définissent le mieux sa pensée. Contrairement à ce que l’on promeut dans nos cultures, il donne autant de valeur à l’irrationnel qu’au rationnel. Pour lui, l’irréel est aussi important que le réel.

Il signale directement que lorsqu’une personne est privée d’irréel, elle tombe malade, comme quand elle est privée de réel. Pour l’esprit humain, il est fondamental de percevoir et d’imaginer.

Pour Bachelard, en fin de compte, l’imagination n’est pas tant le pouvoir de former des images, mais plutôt de nous libérer des images premières fournies par la perception, de les déformer, de les changer :

« Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire ».

portrait noir te blanc

Gaston Bachelard ©wikipédia

Gilbert Durand

Gilbert Durand, c’est mon penseur préféré. Je n’ai rien lu d’égalable à ce jour.

Né en 1921, son travail est une vaste entreprise de réhabilitation de l’imaginaire.

Pour lui, l’imaginaire est le substrat de la vie mentale, une dimension constitutive de l’humanité. La puissance du rêve, la force du symbole, la maternité de l’image composent une espèce de « fantastique transcendantale » dont l’homme ne peut se passer sans se mutiler. Le philosophe grenoblois a insisté sur l’importance des perceptions physiques dans la formation des images mentales. Celles-ci ont deux pôles : un pôle biologique et un pôle incarné dans une culture, une langue, une civilisation. Le « trajet anthropologique », c’est le va-et-vient entre ces deux pôles, par lequel l’imaginaire existe. Il y a de l’imaginaire partout !

Proximité avec Adrien M et Claire B

Chez Adrien M et Claire B, comme chez Gilbert Durand, l’imaginaire est autant présent dans les situations de la banalité quotidienne, que dans les opérations les plus rationnelles. En effet, Gilbert Durand estime que toute raison, quelle qu’elle soit, s’élabore toujours à partir du terreau de l’imaginaire. Les images sont « le moule affectif représentatif des idées », c’est-à-dire qu’elles sont antérieures aux idées et non le contraire

portrait noir te blanc

Gilbert Durand ©wikipédia

Les micro-utopies d’Adrien M et Claire B

C’est en rapport étroit à cette idée (de micro-utopies dans l’entre-deux du réel et de l’imaginaire) que j’ai décidé de vous présenter le travail de la compagnie Adrien M et Claire B. Vous allez le voir, il correspond en tous points à ce qui je viens d’énoncer. En effet, grâce à la création d’un logiciel nommé « eMotion » ils créent un imaginaire numérique et animiste via l’outil informatique.

eMotion est un langage codé qui part du point, c’est-à-dire de la forme graphique la plus simple que l’on puisse imaginer. Le curseur dispose des points dans l’espace et ces points ont des propriétés : un poids, une taille, une opacité, etc. On peut ensuite leur appliquer des forces et des mouvements très complexes comme ceux d’un tissu par exemple.

C’est alors, que s’opère quelque chose d’extraordinaire dans le sens précisément où nous sortons de l’ordinaire. L’imaginaire – tant individuelle que collectif – surgit ici et maintenant dans le réel, créant un nouvel espace-temps que l’on peut qualifier de micro-utopie. Ainsi, Adrien M et Claire B, nous donne à vivre et sentir une expérience de douceur collective.

eMotion, un logiciel pas comme les autres

La grande originalité et surprise d’eMotion consiste en ce qu’il est interactif. C’est-à-dire qu’il crée du lien avec celui qui le reçoit ou le regarde. Mais plus encore, il ne fonctionne correctement qu’avec l’intervention humaine.

C’est également un logiciel qui a beaucoup évolué dans le temps et qui désormais se combine avec d’autres. Mais ce qu’il faut retenir en termes d’étapes c’est :

  • Le remplacement des points par des lettres, pour obtenir des lettres en mouvement. Puis par des images fixes et enfin par des images en mouvement afin de pouvoir traiter tous types de formes.
  • La possibilité d’utiliser une multitude de capteurs simultanément. Qu’il s’agisse de tablettes graphiques ou bien d’iPads, l’idée étant d’obtenir des relations très fines avec les objets que l’on manipule
photographie d'un livre avec du noir et blanc

Adrien M – eMotion  – 2016  ©Adrien Mondot

Qui sont Adrien M et Claire B ?

Il existe peu de choses, si ce n’est rien sur la compagnie en termes d’écrits théoriques et en termes d’enjeux esthétiques dans la création contemporaine.

J’en profite donc directement pour vous indiquer que pour rédiger cet article je me suis servie en partie de deux sources :

  • Le site internet d’Adrien M et Claire B
  • L’ouvrage La neige n’a pas de sens que vous présenterai dans cet article. En effet, il contient une longue interview des artistes.

Aussi, il s’agira de comprendre quels sont les enjeux d’une telle proposition plastique et scénique dans le contexte global du numérique envahissant, omniprésent et permanent.

Adrien Mondot 

Le point de départ de la compagnie c’est Adrien Mondot qui est jongleur et informaticien. Il étudie l’informatique de 1999 à 2002 et assez vite il souhaite jongler avec les pixels. Pour lui, de manière très évidente, le jonglage est un pendant très concret, ancré dans le réel après des journées passées devant des écrans à coder. A la fin de son master 2, se pose la question de la thèse. Cependant, il explique que la recherche est en pleine crise institutionnelle et que les post doctorants sont en difficultés – rien de nouveau sous le soleil.

C’est ainsi qu’il passe tout son été de 2002 à jongler dans la rue, accompagné d’un accordéoniste. En 2003, il décide de créer un spectacle vivant : une création mêlant jonglage et images numériques.

Convergence 1.0

Il commence alors à travailler sur Convergence 1.0 qu’il présente aux Jeunes Talents du Cirque en 2004 et qu’il remporte. On dispose de peu d’images de ce tout premier spectacle mais retenons que le numérique apporte un élément essentiel au jonglage : l’abstraction de la matière et la disparition du poids des balles.

En plaçant le mouvement au cœur de son travail, il souhaite créer un spectacle qui dégage une sensation charnelle. Il défend d’ores et déjà un numérique qui n’est pas froid mais qui est ouvert en termes d’esthétique. En fait, il s’agit pour lui de faire naître un imaginaire avec de l’irréel : l’outil numérique. Ainsi, il place l’humain au cœur du numérique pour créer un numérique chaud et vivant.

Pour se faire, il conçoit en 2006 son logiciel eMotion. Vous remarquerez le jeu de langage entre le terme motion qui signifie « mouvement » et le terme d’émotion qui ouvre sur l’imaginaire.

photographie noir te blanc avce un clavier

 Adrien M – Convergence 1.0 – 2007 ©Adrien Mondot

Claire Bardainne

Le parcours de Claire Bardainne s’inscrit dans deux disciplines :

Le design graphique et la scénographie. En effet, elle obtient un BTS en communication visuelle à l’école Estienne puis elle poursuit sa formation aux Arts décoratifs. Elle se spécialise alors en scénographie et ses études vont ancrer sa double identité entre les notions d’images et d’espace.

Cela se traduit chez elle par une pratique intense du dessin à partir desquelles elle crée des espaces imaginaires.

Après ses études, elle monte un studio de création graphique mais elle arrête tout en 2006 lassée de répondre à des commandes.

Claire Bardainne a besoin de créer plus que d’exécuter. C’est alors qu’elle part marcher seule en montagne. Elle se consacre au dessin et découvre la sociologie de l’imaginaire. Plus particulièrement, le travail de Vincenzo Susca sur l’imaginaire des nouveaux médias et leur lien au politique.

Wicklow

Elle cosigne avec ce dernier l’ouvrage Récréations. Galaxies de l’imaginaire postmoderne. Elle essaie de comprendre comment une image abstraite (des points et des lignes) peut permettre d’accéder au sens d’un texte à l’instar de Message et massage de Marshall McLuhan.

Elle est d’ailleurs invitée au McLuhan Program de l’université de Toronto. Elle va à cette occasion travailler dans la maison de Derrick De Kerkhove, disciple de McLuhan. Sa femme est enterrée dans le jardin, au bord du lac Ontario et de grosses pierres marquent l’emplacement. Elle dessine alors les pierres et écrit un texte qui raconte la découverte de ces dernières.

Cet ouvrage inédit s’intitule Wicklow du nom du lieu-dit où se trouve la maison.

tableau en couleur

 Claire Bardainne – Wicklow – 2008-2009 ©Claire Bardainne

À partir de 2009, elle poursuit ce projet par le biais de microperformances. Pendant plus d’une année, elle laisse sur les tombes des cimetières, ou encore les bancs d’un jardin une image de pierre accompagnée d’une phrase et d’une adresse e-mail. Des gens lui répondent. Elle leur fixe alors rendez-vous le 1er de chaque mois pour leur donner la suite de l’histoire.

La rencontre

C’est le hasard qui les fait se rencontrer. Adrien Mondot propose des laboratoires qui ont pour principe de lancer des invitations à des personnes qu’il ne connaît pas sur recommandations.

C’est Charlotte Farcet qui avait collaboré avec Claire Bardainne sur une mise en scène en 2002 qui les met en contact. En effet, début 2010, elle travaille comme dramaturge sur la pièce d’Adrien M, Cinématique. Elle lui parle alors du travail de Claire B et il l’invite à participer à l’un de ses laboratoires à Enghien en mars 2010.

Comme Adrien M ne vient pas du monde de l’art, il éprouve le besoin de se confronter à d’autres méthodes et d’autres esthétiques.

Pendant une semaine, il s’agit de se rencontrer dans « le faire » avec pour fil conducteur des expérimentations avec le logiciel eMotion qu’il a créé. Le dialogue s’instaure très rapidement entre eux et ils se positionnent en binôme.

photographie futuriste de réaliter virtuelle

 Adrien Mondot – Cinématique – 2009 ©Adrien Mondot

Adrien Mondot – eMotion – 2009 ©Adrien Mondot

Un duo complémentaire

Adrien M et Claire B, partagent un territoire esthétique fort et complémentaire. C’est ce qui fait en partie la grande richesse et la réussite de leurs propositions.

Les outils de l’un sont les formules mathématiques et les algorithmes qu’il manipule de façon empirique. Tandis que l’autre, traite le sens, le sensible et la sensation avec rigueur. En effet, organiser et donner forme à l’univers de l’onirisme, du rêve et de la pensée magique qui dispose de sa propre structure, demande un sens aigu de la rigueur et de la méthode.

D’autre part, en rencontrant Adrien M, Claire B déclare qu’une nouvelle dimension s’ouvre à elle : T le temps. Pour elle, qui vient de l’image et de l’espace fixes, c’est une révélation. Quant à lui, même si sa matière première est très rationnelle, il a une approche du code très intuitive.

En ce sens, tous deux parlent le même langage.

Présentation de la compagnie Adrien M et Claire B

La compagnie Adrien M devient la compagnie Adrien M et Claire B en 2011. Elle est basée à Lyon et est conventionnée par la Drac Rhône-Alpes.

La compagnie Adrien M et Claire B consiste en un dispositif numérique dans lequel, ils placent le corps des images et le vivant dans la machine. Ce qu’ils souhaitent avant tout, c’est susciter l’imaginaire du spectateur.

Ainsi, leurs inspirations sont souvent naturalistes et oniriques. En effet, on va retrouver fréquemment la présence des 4 éléments comme :

Le feu, la mer, la puissance du vent, la pluie. Tous les principes physiques et biologiques les intéressent.

A partir de là, ils vont essayer de créer des expériences de douceurs collectives ou des micro-utopies. C’est précisément cet endroit qui les caractérise et la raison pour laquelle ils entretiennent un rapport à la machine particulier.

Un rapport unique à la machine

Cette question d’un – nouveau – rapport à la machine est toujours plus au cœur des préoccupations actuelles. La machine et le numérique qui en est une composante servent la plupart du temps à créer des dystopies. En outre, à créer des univers anxiogènes qui servent à alimenter les théories du grand effondrement à venir.

Vous l’avez compris, Adrien M et Claire B adoptent une attitude radicalement différente.

En effet, ils ne voient pas la machine comme l’ennemi public international numéro 1 mais forment une réelle alliance avec elle. Pour eux, un artisanat est possible avec le numérique. Ils ne sont donc pas du tout dans la volonté de dénoncer les technologies mais plutôt de démontrer l’étendue de ses possibilités.

En l’occurrence chez eux, créer un espace et des expériences de sensations. Pour eux, médium is the message !

Parce qu’ils maitrisent parfaitement le médium, autant qu’ils le connaissent, ils l’emmènent où ils le souhaitent. Ils rappellent ainsi que tout est possible lorsque nous maitrisons les choses et que le danger provient toujours de l’ignorance.

La place de la transmission

C’est pourquoi, la transmission du savoir tient une place essentielle dans le travail d’Adrien M et Claire B.

En effet, dans XYZT Les paysages abstraits, il y a des cartels vidéo qui expliquent chacune des œuvres de l’exposition. Des logiciels, aux algorithmes jusqu’aux inspirations, ils partagent tout avec le spectateur. Il en va de même dans Un point c’est tout qui consiste en une conférence spectacle. Adrien M et Claire B décrivent alors la manière dont leurs images sont construites. Ils cherchent à nouveau à créer du lien en reliant les aspects sensibles et rationnels.

Ils refusent « la manipulation du magicien qui cache ses tours. S’ils jouent avec la magie des technologies, ils rappellent néanmoins qu’elle ne l’est pas. Elle n’est seulement ce que l’on décide d’en faire. L’effet seul est magique mais l’explication est simple.

photographie d'un ouvrage ou il y a 4 photographie

Adrien M et Claire B – Un point c’est tout – 2011 ©Adrien M et Claire B

phographie de plusieurs photographie

Adrein M et Claire B – XYZT Les paysages abstraits – 2011 et 2015

©Adrien M et Claire B

La place de l’humain et de l’interprétation chez Adrien M et Claire B

Dans cette perspective, l’interprétation et l’intervention humaine sont parties prenantes du travail d’Adrien M et Claire B. Il en est même une composante essentielle sans laquelle eMotion ne fonctionne pas. C’est pourquoi, je parlais d’une réelle alliance entre l’homme et la machine.

Dans chaque spectacle chorégraphique, sont présents des régisseurs qui sont en fait des interprètes numériques. Ces derniers ont deux facettes :

  • D’abord, il y a une personne en régie. Elle interagit avec un stylet sur une tablette graphique et fait bouger les pixels. À ce titre, les artistes parlent d’un « artisanat numérique ».
  • Ensuite, il y la projection sur le plateau. Les danseurs ne voient pas la personne en régie. Mais ils sentent la présence des images projetées.

Les points d’eMotion sont donc comme une marionnette abstraite que l’interprète numérique transforme et manipule.

L’interprète numérique

L’interprète numérique est donc une entité à part entière, constitutive de la pièce.

Claire B l’explique très bien :

« Il faut s’imaginer au fond de la salle, avec une tablette graphique et un stylet. On ne regarde pas ses mains mais le danseur et on essaie de rentrer en empathie avec son mouvement. C’est un plaisir de sentir que nous ne faisons qu’un, sentir l’intention et être exactement ensemble. À tel point que les spectateurs peuvent penser que tout est enregistré et que les danseurs se sont entraînés à se caler sur la vidéo ».

En fait, l’interprète numérique danse avec le danseur en manipulant en temps réel la matière numérique. Ainsi entre dans l’univers hyper maitrisé du numérique : l’interprétation, la spontanéité et le hasard. Les artistes créent donc un spectacle vraiment vivant qui passe par le savoir-faire de la main. Ils défendent l’exigence de cette présence vivante car c’est à ce risque là que peuvent exister l’émotion et la sensation.

Les projets

Pour vous démontrer cela, je vais vous présenter 6 projets différents de la compagnie Adrien M et Claire B. 6 projets qui démontrent de la richesse de leur pratique.

En effet, elle se décline entre installations, spectacles vivants et chorégraphiés et livres. Les uns pouvant constitués les autres car en réalité les projets de la compagnie sont tellement cohérents que l’on a l’impression d’être face à un seul et même spectacle qui se déploie.

Pour chacun des projets dont je vais vous parler, vous pouvez obtenir plus de précisions en vous rendant sur le site d’Adrien M et Claire B. Sur chaque projets vous pouvez entrer votre mail et demander le lien pour télécharger le dossier de présentation, la fiche technique et les images.

Encore une fois, vous remarquerez à quel point la transmission est concrètement au cœur de leur travail. Ils sont des artistes passeurs, tournés vers l’extérieur et l’altérité

XYZT Les paysages abstraits

Il s’agit d’une exposition-parcours constituée de dix installations mettant en jeu le corps du visiteur.
Le titre, c’est quatre lettres issues du langage mathématique qui ouvrent sur un territoire onirique, à la frontière entre arts plastiques et arts vivants.

La combinaison de X (horizontalité) Y (verticalité) Z (profondeur) et T (temps) permet de décrire le mouvement d’un point dans l’espace. Elle porte en elle l’essence d’un territoire imaginaire. Le parcours est conçu comme la traversée d’une nature revisitée entre géométrique et organique. La promenade offre une expérience sensible au visiteur, qui est invité à jouer avec la lumière d’un paysage composé de lignes, de points et de lettres. Il va à la rencontre d’une matière virtuelle aussi vibrante qu’éphémère. Toutes les images sont générées en temps réel, à partir de modèles de comportements physiques.

Hakanaï

Hakanaï se scinde en deux projets différents. C’est d’abord une installation qui s’intègre dans XYZT. Il s’agit d’un cube en tulle autoportant qui peut donc se transporter partout. On entre dans cette boîte et sur les parois sont projetées des projections avec lesquelles on est amené à interagir.

C’est ensuite une performance pour une danseuse, Akiko Kajihara, dans un cube d’images en mouvement. Une chorégraphie qui dessine l’évanescence du rêve et l’impermanence des choses.

Techniquement, les images sont à nouveau animées en direct, selon des modèles physiques de mouvement. Elles s’animent au rythme d’une création sonore également interprétée en direct. Le spectacle est quadri-frontal, et à l’issue du temps de performance, l’installation est ouverte aux spectateurs.

plsuieur phtot d'un spectacle en noir et blanc

Hakanai – Adrien M et Claire B – 2012 ©Romain Étienne

Voici ce qu’en dise magnifiquement Adrien M et Claire B :

« Dans la langue japonaise, Hakanaï définit ce qui est impermanent, fragile, évanescent, transitoire, entre le rêve et la réalité. Mot très ancien, il évoque une matière insaisissable associée à la condition humaine et à sa précarité, mais associée aussi à la nature. Il s’écrit en conjuguant deux éléments, celui qui désigne l’homme et celui qui désigne le songe. Ce collage symbolique est le point de départ de cette partition pour une danseuse rencontrant des images, faisant naître un espace situé à la frange de l’imaginaire et du réel. »

Ainsi vous retrouvez ici, formuler différemment, ce que j’énonçais en introduction lorsque je disais que l’art dans ses expressions contemporaines, en créant des univers nouveaux, au bord des cadres ordinaires de l’expérience, fabrique des micro-utopies dans l’entre-deux du réel et de l’imaginaire.

Le mouvement de l’air 

Pour cette pièce, c’est la notion de verticalité qui intéressait Adrien M tandis que Claire B était attirée par l’imaginaire de l’air.

Ainsi, au-delà de la problématique spatiale et géométrique fallait-il rendre compte de la sensation invisible et éphémère d’un filet d’air.

L’éphémérité était déjà vous l’avez compris un fil conducteur dans Hakanaï. Ainsi, tous les projets d’Adrien M et Claire B ont une filiation et forment un tout cohérent.

À nouveau, la création numérique est générée et animée en temps réel. La musique originale est également interprétée en direct, sur scène.

Il n’y a pas, nous disent-ils, d’histoire, mais une écriture par l’image et une aspiration : celle de se laisser porter par le mouvement de l’air pour ouvrir, déplacer les limites, délier les chevilles et les poignets. Laisser le rêve de vol gagner sur l’angoisse de la chute.

Mirages et Miracles 

Je tiens à parler de ce travail car c’est avec lui que je suis entrée dans l’univers de la compagnie Adrien M et Claire B. La claque esthétique c’était ça !

Depuis ils m’en ont mis bien d’autres.

Il s’agit d’une série d’installations qui abritent un animisme numérique. Parler d’animisme pour le numérique peut paraître surprenant mais il faut le comprendre comme un état d’être au monde. En effet, la démarche en présence est d’utiliser l’inanimé et de lui donner une présence avec l’humain.

C’est l’histoire de Gepeto avec Pinnochio si ce n’est qu’ici nous ne sommes pas dans un conte. Ici la métaphore est propulsée dans le réel et vient transfigurer le banal selon l’expression de Danto.

Les œuvres, du petit au grand format, offrent toutes une coïncidence finement organisée entre virtuel et matériel. On trouve plusieurs éléments : dessins augmentés, dispositifs d’illusions holographiques, casques de réalité virtuelle, projections grande échelle. Ils donnent à vivre un ensemble de scénarios improbables qui tiennent à la fois du mirage et du miracle, qui jouent à la frontière entre le vrai et le faux, l’animé et l’inanimé, l’authentique et l’imposture, la magie, le merveilleux, et l’inouï.

Les livres : spectacles en valise

Encore une fois, il s’agit d’expériences interactives. En effet, il faut faire tourner les pages et utiliser l’application mise en place par les artistes pour que la surprise ou le miracle surviennent. Leurs deux ouvrages sont des petits spectacles animés, en valise, qui se déplacent et que l’on peut emporter partout.

Ils rappellent avec justesse, et ce même si j’ai beaucoup écrit, que les mots ne doivent pas être plus intéressants que les formes.

la neige n’a pas de sens

« Pour parler de notre travail, plus que parler, nous aimons toujours montrer. Et mieux encore que montrer, nous préférons offrir une expérience sensible » aiment-ils à dire.

C’est pourquoi dans leur ouvrage La neige n’a pas de sens publié en 2016 Adrien M et Claire B ont conçu une série de six œuvres où le mouvement surgit du papier. Six dessins qui se transforment en espaces de possibles. Six minis évènements dérisoires et merveilleux, empruntés à l’imaginaire de la nature :

  • Pluie
  • Nuage
  • Onde
  • Tornade
  • Cocon
  • Herbes

Il reste quelques exemplaires disponibles sur le site de Decitre. Une fois, reçu, il vous suffit de télécharger l’application mobile ici et de profiter du spectacle !Croyez-moi, il s’agit d’une expérience à la fois magique et unique qui ne vous laissera pas indifférent.

aqua alta – la traversée du miroir

Si vous êtes passés à côté de La neige n’a pas de sensla compagnie vient tout juste de sortir un deuxième ouvrage en réalité augmentée.

Ce nouvel opus est un livre pop-up, un peu plus coûteux mais plus complet en termes d’expérience.

En effet, à travers une tablette, les dix doubles pages du livre deviennent de petits théâtres, où se déploie une forme dansée grâce à l’application. Cette dernière a été développée sur mesure.

Aqua Alta au départ c’est un spectacle de théâtre visuel qui raconte l’histoire d’une femme et d’un homme dans une maison. La routine du quotidien les conduit à se disputer. Mais un jour de pluie, tout bascule. La montée des eaux engloutit la maison et la femme disparait.

Ainsi débute une histoire à la fois individuelle et universelle : celle d’une perte et d’une quête.

Je ne vous en dis pas plus !

Vivez votre propre expérience au carrefour du théâtre, de la danse, de la BD et du film d’animation par ici.

Conclusion

Pour conclure cet article, je souhaite partager avec vous la dernière page de La neige n’a pas de sens qui a été pour moi une autre claque esthétique. Un cadeau en fait.

D’ailleurs, elle est un cadeau fait à Adrien M et Claire B par leur ami Laurent Derobert et une magnifique conclusion sur la notion aussi subtile que métaphysique de miracle.

Mais avant de partager cette page, laissez-moi vous poser une question :

Connaissez-vous les mathématiques existentielles ?

Je n’en avais jamais entendu parler avant la lecture de l’ouvrage d’Adrien M et Claire B. La lecture de cette page et la découverte de cette approche du calcul m’ont littéralement bouleversées de même qu’elles m’ont réconcilié définitivement avec l’algèbre 😀

Les mathématiques existentielles

Laurent Derobert est né en 1974, il a conçu et développe les mathématiques existentielles. Docteur en sciences économiques et chercheur (CNRS-GREQAM et Université d’Avignon), il interroge notre rapport au monde sous forme algébrique et produit des équations tels des poèmes rigoureux et sensibles.

Son propos est de reconquérir, à l’aide de l’outil mathématique, des champs inexplorés de la conscience et des rapports humains. Ce qui échappe, ce qui se dérobe, trouve, le temps d’une formule, une densité méditative.

Voici donc la page d’algèbre existentielle qu’il a écrite pour illustrer autant le duo et que les travaux d’Adrien M et Claire B. Pour info, i.e en mathématiques signifie « c’est-à-dire ».

texte pris en photographie

Laurent Derobert – in La neige n’a pas de sens – p121,122 ©adrien m et claire b

Et en effet, il n’est pas trop peu que de dire qu’Adrien M et Claire B offrent autant qu’ils produisent de petits miracles. À la frontière entre le réel et l’imaginaire, ils ouvrent sur une autre réalité.

Je vous invite à les soutenir en suivant leur travail, en achetant leurs livres puis en remplissant les salles de leurs spectacles. Ils le méritent et vous ne serez pas déçus tant l’expérience est à la fois, douce, intense et profonde.

Si vous l’êtes, c’est moi qui vous rembourse !✌️

 

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